En travaillant j'aime assez écouter des émissions de radios, notamment, bien sûr, sur un sujet qui m'est cher : l'Alchimie.
Eugène Canseliet a cette faculté d'inspirer, de fasciner et de capter toute l'attention de son auditoire, lui qui a porté bien haut l'étendard "rouge" de l'Alchimie, comme il le disait lui même, "pendant 30 ans dans la mêlée".
A travers sa voix, son rythme, la force qu'il donne à ce qu'il dit, son timbre, nous sommes portés et transpercés par sa force. Quelle motivation, quelle bénédiction il nous donna alors.
ll me fait toujours réfléchir, penser, méditer. En bref, il est souvent à l'origine d'une inspiration, d'une réflexion.
D'ailleurs, Eugène Canseliet, dans une émission de radio en 1971 nous disait ceci :
"En Alchimie, il n'y a pas de livres élémentaires, si vous voulez, puis moyens, puis supérieurs, il n'y a pas de premier, de sixième, de cinquième, enfin, il n'y a pas une gradation pour arriver à un endroit donné.
Il n'y a qu'un diplôme en Alchimie, un grand, c'est l'Adeptat. C'est la Royale Couronne de l'Adeptat, c'est de réussir le Grand Oeuvre". (à 1h05)
Voilà qui est dit, dans sa manière habituelle; passionnée et claire, affermie dans l'expérience de la vie, de la voie, et du Laboratoire.
Mais est ce exact ? Il n'y a pas de gradation possible ? Il ne nous est pas possible d’échelonner notre apprentissage ?
Et tous ces cours, ces formations, ces livres ... n'est il pas possible d’aménager la voie ? De la rendre progressive ? Bien des auteurs ont tenté de le faire, et plaçant par exemple, la spagyrie, ou ancienne chymie, en premier. Pensant peut être qu'un travail sur une plante demande moins de dextérité ou de connaissances qu'un travail sur un minéral. Est ce là une recherche de simplicité ou est ce plutôt une volonté de former l'opérateur néophyte aux techniques complexes du Laboratoire ? Je penche plutôt pour une recherche de quelque chose d'abordable, de plus contrôlé, de cadré. Au final, de plus "simple" (je n'ai pas dit facile). C'est peut être aussi, et surtout, ce qui peut se transmettre le mieux, car l'ampleur du travail est gérable, pas comme celle du Grand Oeuvre. Elle n'en a pas la même portée non plus, et son accès est bien plus libre. Cependant, penser se former via la spagyrie pour accéder à l'Alchimie, c'est un peu faire de la course à pied sur terrain plat pour montrer le mont Olympe sur Mars.
Personnellement, je n'ai pas commencé par la spagyrie. J'ai commencé par la voie sèche de l'antimoine, avant j'ai un peu distillé d'eau de pluie, tout simplement. Et alors ? Qui donc à dit qu'il fallait commencer par les plantes ? Sont elles moins complexes qu'un travail au fourneau ? Non, je ne crois pas. Elles sont infiniment plus complexes selon moi. Bien plus d'éléments sont à prendre en compte que dans un travail avec un métal.
Parlez moi, (en tant que néophyte), des interactions entre sels volatils, sels fixes solubles, sel insoluble, soufre volatil, soufre fixe, flegme, mercure alcool, caput mortuum, huile fixe. Vous aurez peut être, certainement même, plus de mal. Qui aime qui et qui n'aime pas quoi dans tout ces intervenants, qui peut faire médium avec qui et pourquoi ? Et vous voulez faire une pierre végétale ? Ha bon ... wow. Courage.
Un métal, ça fond. Ça se refroidit. On ajoute, on retranche. C'est tout. On fait cuire. On observe, on ressent. Au grand maximum nous avons un caput, un régule, quelques sels. C'est techniquement bien plus simple, direct. Un creuset, un feu, un sel, un minerais. Voilà. Pas de Dean Stark modifié, pas de Sohx... soklet ... soxhlet (personne ne sait le dire), à faire fonctionner, pas de choses complexes au départ.
Faire penser qu'un travail avec une plante est si simple ... c'est un peu déjà se fourvoyer. C'est même fourvoyer l'autre finalement. Il faut un sacré doigté pour approcher une plante. C'est un être bien plus sensible qu'un métal. Le métal est bien plus brut. La plante est plus proche de nous. Techniquement, philosophiquement, je dirais qu'il est plus simple, et plus facile, de commencer par ce type de méthodes. Tout en y allant doucement avec les verreries, et les protocoles végétaux par exemple.
Vous ne voulez pas aller au charbon ? Pas de soucis. Distiller votre eau, votre alcool, votre vinaigre. Purgez vos sels, cristallisez les. Techniquement c'est la base. Ce répétitif inévitable, qui fait parti du cheminement du spagyriste mais aussi de l'Alchimiste. La gamme de base. L'entrée en matière par les mercures.
Pour le reste, "l'impalpable", cela viendra, au "feu et à mesure". C'est quoi cet "impalpable" ? Il est très facile d'aménager la technique et d'essayer de jalonner la voie. C'est faisable. Cependant, l'attention, le coup de main, la qualité de la présence, le truc incompréhensible, la façon de faire, de voir, de savoir, cette insoupçonnable chose, cet impalpable et subtil résultat du temps et du feu combinés, qui nous façonne dans notre comportement au Laboratoire.
Cette force qui fait que la perle d'or devient feuille d'or, que le cuir brute et rigide, soit souple et parfaitement tanné ... Concrètement, et je sais que cet exemple n'est pas réellement pertinent, c'est un peu comme si en mettant en circulation un vaisseau vous vous disiez "je le mets pour 40 jours" (techniquement correct), et qu'en répétant ceci 10 ans plus tard vous n'avez pas la moindre idée du temps que vous prendra cette circulation et vous vous en f**t** royalement, du moment qu'elle s'accomplit comme il faut. 15 jours, 60 jours ... peu importe.
Ceci n'est pas gradable. Et c'est ça le Couronnement de l'Adeptat. C'est bien plus un état intérieur qui se concrétise au Laboratoire, quelque chose qui sort de vous, au départ, s'accomplit au Laboratoire et finit, par l'ingestion, de vous achever dans votre transformation.
Vous agissez sur le Laboratoire, mais en lui laissant les coudées libres, le Laboratoire agira sur vous, pour vous. La boucle est bouclée, le tout est accompli.
Je pense qu'il est important de poser les questions cruciales dès le départ, à notre débutant, impétrant, néophyte, ou ce que vous voulez.
Pourquoi ne pas le confronter de suite, aux "serrures" majeurs ? Essayer de lui faire trouver les clefs qui les ouvrent.
Pourquoi au contraire, ne pas le confronter directement à un travail sérieux, "lourd", engageant, "mordant". Je ne sais pas si vous ressentez ce que je veux dire, par "travail lourd". Il arrive que lorsque nous lisons une procédure, une recette, ou un allégorie, nous puissions ressentir le poids général, de l'ampleur, du sérieux de l'opération. Mais les questions, voire les travaux des premiers degrés Alchimiques devraient alors être posés. Plus tôt la matière cuit, mieux c'est.
Certains ouvrages gagnent une réputation grâce à cela. Non bien sûr que l'ouvrage soit compréhensible (peu comprennent réellement Cyliani, ou Limojon par exemple au début de leurs études), mais ils ont cette grandeur. Car ils sont oints du but qu'ils exposent. Ceci suffit à les rendre grands et les faire, inoxydablement, perdurer de par le temps. Et ce, malgré l'impénétrabilité, les manques, les inversions, les envies que contient le texte.
Pourquoi ne pas parler de suite, de l'aimant ? Des clefs du Grand Oeuvre ? De l'Esprit, vert, Universel ? De la logique de la gradation des couleurs de l'oeuvre ? Du pourquoi et du comment une matière perd en masse ou en gagne. Des étapes des Grand Oeuvre.
Rien n'empêche alors de le laisser faire des teintures, des élixirs ou autres productions tout à fait honorables dans son Laboratoire, Spagyrique. Mais effectivement, tenter de graduer un travail au Laboratoire, c'est je pense peine perdue. Au lieu de faire de l'Alchimie une séries de marches, telles un escalier, c'est plutôt à l'élève de se hisser de lui même, par son effort, au niveau de ce que lui demande l'Alchimie. Défis sur défis. Et non, semblante facilité sur semblante facilité. Canseliet ne parlait pas de spagyrie, il ne parlait en général que du Grand Oeuvre ! Il ne rabaissait pas cette Sapience au niveau le plus "bas" pour qu'elle puisse être appréhendée par ceux qui ne font pas l'effort. Ça ne marche pas ainsi. Il n'y a RIEN de facile (et je n'ai pas dit simple) dans l'Alchimie, l'Archimie ou la Spagyrie. Rien du tout. Distillez de l'eau, et vous verrez qu'il faut ne serais ce que surveiller la cornue, le feu, la possible pression, l'eau du bain, vider le récepteur, et être patient, ha ça oui, patience ... (Valois nous en dit d'ailleurs "La Patience est l'échelle des Philosophes, et l'Humilité est la porte de leur Jardin"). Ce n'est souvent pas la part technique le plus difficile, c'est souvent l'élément humain. C'est lui la faille majeure !
Le néophyte sait il sur quel chemin il s'engage ? Doit on lui épargner les questions radicales, fondamentales, cruciales (=> racines/radix, fondement, et croix/crux) que son intérêt, sa motivation, sa passion animent ? Son ignorance occulte les implications, les aspects importants de sa quête. S'engage t'il en pleine conscience de ce que tout ceci implique ? Il faut en douter !
Doit on le ménager avec de la facilité ? De la simplicité ? Doit on amputer des procédures pour les lui rendre 'attractives' ? Pour moi non, et nous tombons souvent dans le travers de la vulgarisation, et je vous soulignerai que le vulgaire en Alchimie est opposé au Philosophique, ainsi, tout Philosophique ne peut souffrir de vulgarisation sous peine d'être désacralisé.
Doit on encore lui présenter uniquement du végétal au départ ? Pourquoi pas, un peu de "viande", un peu de soufre, un peu de feu ! Pourquoi ne pas pimenter tout ça avec un réel défi ? La voie est déjà si longue ... alors en quoi la rallonger ? Si sa vocation est de devenir spagyriste, pas de soucis, mais si elle est de nature à devenir un Adepte, alors, pourquoi ne pas commencer l'entrainement directement ? Se confronter à la matière grave de suite ?
Je dis ceci car il me semble que dans certaines formations le Grand Oeuvre est repoussé au loin, comme quelque chose où il faut déjà une sacré expérience, et qui passe alors, selon les formateurs, par la spagyrie. Autant dire que lorsque la personne va passer à l'Alchimie, elle va y appliquer ses réflexes spagyriques. Pour le meilleur et pour le pire. Et déjà que sa formation en spagyrie ne sera probablement pas fameuse, il n'en ressortira, au mieux, que du caput de ses premiers essais "Alchimiques". Enfin vous voyez voyez ce que je veux dire !
Dans tous les cas, néophytes ou Adeptes, je pense que cet "impalpable" fait que l'on travaille "bien" ou non. Non pas techniquement, mais impalpablement bien. Car comme le dit si bien Eugène Canseliet : "Faire Alchimiquement, c'est faire avec Amour".
Et ça, ça transcende la technique, quelle qu'elle soit.