Comme tous les ans, la préparation de la Toussaint s'amorce afin de nettoyer et de fleurir les tombes, de réfléchir sur la Mort, la Vie, l'existence elle-même, tout cela sous un temps gris, pleurnichard, et qui correspond parfaitement à l'humeur globale de la saison et des circonstances. Comme à chaque fois j'en profite pour regarder les tombes.
Ici en Bretagne la tradition est encore vivace. Les tombes sont fleuries, propres, décorées de diverses plaques commémoratives. Parfois nous passons devant un évènement tragique. Une plaque avec une photo, d'une femme jeune, blonde et souriante trône sur la tombe familiale. Ailleurs des plaques ''À la mémoire de notre camarade, l'association des médaillés militaires''. Un héros anonyme. Pour avoir deux médaillés militaires dans ma famille je sais ce que c'est. La médaille militaire, ce n'est pas rien. C'est la plus haute distinction. Bien au-delà de la ''Legion d'Honneur'', qui ne sont que des honneurs de salons, de copinages dévoyés, ou pour ceux qui ont eu ''l'honneur'' de mourrir au combat ou non, et dont la valeur n'est portée maintenant que par le nom.
Les plus anciennes tombes portent des crucifix à bubons, des boules sur le bois de la croix. Il est dit que la Peste (grande Peste Noire 1348/9 elle ravage la Bretagne puis se réinvitera .... 1582, 1585, 1588, 1602, 1605, 1607, 1617, 1622, 1624, 1627, 1628, 1632, 1636, 1637 - c'est absolument ignoble, d'ailleurs en est né Santig Du, le petit Saint Noir est spécifiquement anti pesteux, contes, légendes, complaintes de la Pestes sont inventés et inclus au folklore Breton, comment ne pas se plaindre de tout son cœur quand toutes les charettes à l'entrée des cimetières sont pleines de cadavres...) a cessé à cause de la Foi (intervention de la Vierge) et qu'elle n'a pas progressé plus en avant de ces communes, mais j'ai l'impression qu'il a fallu plusieurs générations de prières pour y venir à bout. C'est loin maintenant dans les esprits, mais ça se réactualise malgré tout, par la force des choses. Mais il faut se remettre dans l'esprit de l'époque, une Peste, c'était autre chose qu'un petit virus. Geste magique demandant en dernier recours au Christ, dernier espoir, de prendre dans sa croix la Peste et ces horribles bubons plein de pus.
C'est donc une chose particulièrement commune en Bretagne de croiser, même dans les calvaires isolés.
Mais même les tombes sont finalement moches. Un art communiste s'est invité dans les cimetière, la faute au Ikea de la mort qui propose des plaques de granite noir, gris, roux, des blockhaus de la mort, bien lourd, épais, carré, angulaire et neutre. Une courbe pour rendre la chose improbablement esthétique, un tout petit crucifix, ridicule, timide, en pin's, badge religieux, histoire de ne pas déranger le laïc allongé à côté. Ça ne donne plus envie de mourrir. Même ça, la modernité l'a salit, enlaidit. Où sont les incroyables caveaux néo-gothiques ? Parés de portes de fer ouvragées, de gargouilles ? De sabliers ailés, de faucheuses à frémir ? Non, un rectangle gris, massif, propre à lire la biographie de Marx ou de Staline en chantant les mérites d'une révolution Russe. On se croirait sur la place de la mairie de Brest. Les crucifix en moins, l'idéologie en plus.
Je visitais dernièrement une petite église en Finistère. Il y avait un meuble sculpté, d'un mètre vingt de haut et de deux de long, en néo-gothique. Trois rouleaux de bois dans le dessus du meuble pour faire rouler le cerceuil. Superbe ouvrage laissé aux vrillettes de Vatican II, inutilisé. Maintenant le chariot est repliable et en inox chromé, chirurgical. La pierre de décharge devant l'autel n'existe plus. Celle qui fait que les éléments bio énergétiques encore accrochés décollent. Le processus, autrefois beau et efficient, est devenu un simple trait gris sur une page blanche. La mort est rendue moche, le processus bâclé. La pompe funèbre, n'a plus de ''pompe'' (Bombastique, Pompeux, fastueux... ). C'est sans intérêt. Reste le chagrin, ou le sourire de la veuve joyeuse. Tous les rituels sont partis. Il n'est absolument pas étonnant que beaucoup cherchent ailleurs, dans la Franc-maçonnerie par exemple, les rituels, la Pompe qui n'est plus vraiment là au quotidien. Ce qui est déjà triste est encore rendu plus triste. Le dépouillement de la modernité a elle-même tué la mort.
La période de Samhain, All Hollow's Eve (la veille de la Toussaint, car un Saint par extension est mort et ''bien'' mort), à l'ancienne, était celle du comptage du fourrage. Aurons-nous assez d'herbe pour toutes nos bêtes ? Passerons-nous nous même l'hiver ? C'est en réalité une période d'angoisse et de prévision, l'homme du foyer transpire beaucoup depuis quelques temps déjà à couper et stocker le bois, la femme fait ses fagots, ses confitures et ses bocaux, il faut probablement tuer une ou plusieurs bêtes et les découper, les saler, les stocker. Si la récolte a été mauvaise... Si l'argent vient à manquer... Si l'hiver est particulièrement dur ! Il faut veiller à ce que le grain soit hors de portée des rats, souris... Et si la Peste revient ? À l'heure actuelle, rien de tout ça. L'électricité augmente. Quelle galère, comment on va faire pour payer le branchement de la voiturette cette nuit ?!
Au delà, oui dans l'au-delà une porte s'ouvre, la paroi s'affine entre notre plan et l'au-delà. Mais il y a bien des au-delà. En Italie deux mois avant Halloween, les adoptions de chats noirs sont interdites. À Naples chaque année 1500 chats (déclarés) disparaissent dans cette période. C'est absolument dégoûtant. Mais c'est malheureusement la réalité de la chose. La sorcellerie de bas niveau revenant en force lors de cette période dans les rayons de supermarchés, il n'y a plus donc à s'étonner. Je regarde ces ''almanacs'', ou les infos une fois sur deux sont erronées, incomplètes... Inversées. Ou le Sceaux sont faux ou démoniaques. La vulgarisation totale et la normalisation de ces lectures est ahurissante, affolante, car personne ira sauver l'ado de 16 ans qui a pacté, il finira harcelé, hanté, tenté, et à l'hospitalisation, à la camisole chimique inéluctable si cela dérive trop. Où est le sceau du secret ? L'avertissement excrétatoire ferme et expérimenté, du praticien qui, levant le doigt en guise d'avertissement, déclame la formule de bannissement : ''Hekas !! Hekas !!..."
Comme notre société ne comprends plus rien au sacré elle ne comprends de facto, pas mieux le sacrilège. La nouvelle religion de la Science ( science dure, pas même la science humaine), règle la marche du monde. Horizontale, matérielle et dualiste, elle représente l'aspect le plus neutre de Lucifer, si elle n'ouvre pas sur le Divin et la Vie. L'au-delà n'existant pas, quel mal à appeler un démon des abysses ? Ça n'existe pas. On retrouve ces débuts de dérives dans certaines Loges, par exemple dans la Golden Dawn moderne (pas toutes les loges évidemment), où le démon ou l'ange, évoqué n'est au final qu'une projection de forme pensée personnelle, provenant de notre propre esprit. La théorie est belle. La réalité toute autre. À ce niveau là, l'astral n'existe donc même plus. Où va-t-on ?
Pas une fois je n'ai croisé dans ce cimetière un angelot, un crâne, un ''memento mori'', pourtant nous sommes dans la place idoine pour un petit rappel au Finis Gloriae Mundi. Le symbole mortuaire est gommé. La volonté est donc à la plaque de granit triste avec un souvenir du défunt, mais aucune projection personnelle pourtant absolument nécessaire pour bien vivre, base d'une philosophie Stoïcienne simple et pratique, sans même aller dans les études plus poussées sur la question. En tout cas c'est sûr et certain, avec une telle tombe actuelle, qu'un mort vivant ne sortirait pas de là,... à moins qu'il ne soit un champion de développé couché (''Bench Press'').
Il y aurait beaucoup à dire sur la question de l'au-delà lié à la mort. La mort elle même liée à la séparation des corps, l'arrêt des flux et échanges entre plans internes. La dégradation des corps et l'effacement des signatures, puis le retour au substrat neutre global de l'Adam Kadmon pour ainsi dire. Ceux qui sont initiatiquement mort, je ne parle pas d'être rituelliquement, ou cérémonieusement placé dans un cercueil, etc, mais véritablement dans les plans supérieurs être tué, dépecé, enterré, d'avoir visité les plans de la dégradation, et d'en avoir vaincu les effets délétères, peuvent à la rigueur se passer de médiation sur le sujet. Voir sa tombe ne devrait rien éveiller de négatif en nous. Comme l'eau sur les plumes du canard la mort glissera sur vous.
Quant à ceux ou celles qui ne font pas le processus de deuil d'un proche, et s'accrochent aux morts comme des bouées de sauvetage, ce n'est qu'une ancre qui hâppe l'esprit vers les confins où les vivants n'ont pas le droit d'aller. Un morceau d'âme est resté accroché au mort. Et il faut le rappeler à soi sous peine d'en subir les conséquences les plus fâcheuses.