L’Oeuvre du Lion Verd
Jacques LE TESSON
PREMIER
TRAITE
DIALOGUE
ENTRE L'ARTISTE ET LA MATIÈRE
L'Artiste:
1. Ainsi que j'étais un jour en admiration, contemplant comme je pouvais
avoir la connaissance de cette science divine tant cachée par les Sages, qu'il
n'y a homme vivant qui en puisse avoir aucune connaissance, je demeure tout
confus en mon entendement,
2. et pour passer ma fantaisie, je m'en allai promener à l'entour d'une
montagne où j'aperçus une obscure et profonde caverne, et m'en approchai fort près,
et vis qu'elle était véritablement profonde et obscure, et au fond d'icelle
habitait un lyon verd, lequel avait six cornes et six oreilles, qui étaient
toutes pleines d'eau vive: et lors je fus fort étonné de voir un monstre si
horrible et si étrange, et le considérai en moi-même, et ainsi que j'étais en
pensée, il regarde, m'avise, et commence à me dire affectueusement
La Matière:
3. Qui est-ce que tu viens chercher en ce pays ici, qui est si aride et
désert, car il n'y habite personne, ni n'y peut habiter, à cause de ma cruauté:
car aussitôt que quelqu'un se présente, il est aussitôt dévoré et réduit en ma
nature.
L'Artiste:
4. Quand j'entendis tel propos, je m'étonnai et me rendis humble envers lui
en lui disant: pardonne à ma trop curieuse volonté, toutefois sans vice, mais
le grand désir que j'ai de votre connaissance fait que j'ai perdu toute
contenance, et pour ce, seigneur,
5. supportez le zèle que j'ai de vous faire service, et si en avez quelque
connaissance, je vous prie de m'en faire part d'une petite étincelle, à savoir
du nom de cette matière et de sa conduite, autrement je suis privé de toute
espérance.
La Matière
6. Purifie-moi, et remets tous mes esprits et sens en bon chemin.
L'Artiste:
7. O Révérend ! J'ai bien lu quelques livres qui parlent comme toi, mais
cela est si obscur que je n'y puis rien comprendre.
La Matière:
8. Ainsi ne te fâche point puisque je connais ta bonne volonté et que tu
veux me faire service, je te conduirai au droit chemin, et (tu) parviendras à
l'accomplissement de ton désir, mais note bien mes paroles parce qu'elles sont
divines et de grand effet,
9. et pour le premier point, je suis celui que tu cherches, aussi monstrueux
et sauvage, toutefois grande vertu et richesse on tire de moi.
10. Voici comment tu feras ; il faut que tu entendes que je suis descendu
des régions célestes, et suis tombé ici-bas en ces dites concaves cavernes de
la terre, m'y suis nourri un espace de temps et ne désire que d'y retourner, et
le moyen de ce faire est que tu me tues, et puis que tu me ressuscites, et de
l'instrument que tu me tueras tu me ressusciteras, car, comme dit la blanche
colombelle, celui qui me tue me fera vivre,
11. et le moyen comme tu me dois tuer ; il faut que tu me prennes pur et net
ainsi que je suis ; car je n'ai jamais été en mauvaise compagnie, et ne suis
souillé d'aucune macule, et pour ce entretiens-moi en ma pureté et après tu me
couperas en très menues lamines et me détrancheras dedans mon eau qui est ma
bien-aimée tant doucement que le pourras, et me mêleras de telle sorte que l'on
ne reconnaisse rien de moi et qu'il y ait deux matières différentes ; encore
qu'elles soient d'une racine, toutefois ce n'est qu'une nature, combien que
l'une s'appelle mâle et l'autre femelle.
12. Et après que tu auras sagement fait, tu me mettras en une chambre ronde
et claire, à celle fin que tu voies à l'entour de moi, et qu'elle soit
justement fermée, et qu'aucune chose n'y puisse entrer ni porter préjudice.
13. Et outre, tu bâtiras deux autres chambres et les mettras l'une dedans
l'autre, et prendras celle où je suis, et la poseras au milieu des deux, et que
rien ne puisse nuire.
14. Et quand je serai ainsi accommodé, tu m'échaufferas sans violence
aucune, d'une chaleur propre à me faire mourir, car il n'y a rien qui me puisse
faire mourir que cela, et faut que ce soit une mort langoureuse et non subite,
car elle serait damnable.
15. Je t'avertis aussi d'un point, à savoir que tu sois patient, d'autant
qu'il faut que la chaleur soit vaporeuse et humide continuellement jusqu'à temps
que je sois mort et ressuscité, et il te faut bien donner de garde de ce dard
et feu de Vulcain, et ne sois pas paresseux car nous serions tous ruinés et
détruits, à savoir toi, et nature, et moi sans jamais me relever.
16. Ici est la moitié du temps de l'œuvre et ne te faut rien bouger ni
changer durant le premier temps.
17. Nous parlerons maintenant de la profondeur de la science de point en
point, et des opérations secrètes de Nature, à celle fin que tu n'ignores
aucune chose.
18. Sache, pour le premier point, que j'ai à faire un voyage d'un an et ai à
passer par divers chemins. C'est là où il te faut prendre garde et sans
faillir, car c'est là où gît le tout.
19. Fuis trois ennemis qui me surprendront en cheminant, pour n'être bien
instruit, mais comme tu es bien averti, tu y prendras garde, afin que tu les
connaisses je te les veux nommer:
21. Et puis, note bien, quand nous serons près de ces passages dangereux, tu
feras par ton art naître une nuée obscure fort noire et ténébreuse et m'en
couvriras et en passant je ne serai pas vu, et faut que tu la continues jusqu'à
ce que j'aie tout passé, et puis d'elle-même elle s'évanouira petit à petit,
car alors je me fortifierai et ne craindrai plus rien sinon que le dieu
d'impatience, lequel ne m'abandonnera pas jusqu'au retour de mon voyage et
serai toujours en danger.
L'Artiste
23. O Révérend ! Tu es comme un flambeau luisant qui illumine toutes mes
parties occultes et davantage ce m'est une source de bénédiction, tes paroles
me sont paroles de vie, tu m'as revivifié et remis tous les sens.
24. Quant à ce que tu désires de moi, savoir si j'ai bien retenu ce qu'il
t'a plu de me dire, je t'en ferai un petit discours s'il plait à ta révérence
de l'écouter patiemment.
25. Et pour commencer, je crois que cette grosse montagne à l'entour de
laquelle je me promenais n'est autre chose que la maison où tu habites.
La Matière:
26. Voilà très bien commencé ; poursuis.
L'Artiste:
27. Et quant à la caverne, je crois que c'est la tour et les deux chambres
toutes bâties dedans lesquelles tu es couché bien mollement, à savoir l'une
dedans l'autre, et tu es accommodé dedans la troisième et icelle environnée
d'une mer ondoyante, ainsi que la terre est environnée de la mer, toutefois
elle ne te touche point, et si elle est cause de ta mort et résurrection.
La Matière:
28. Mon ami, tu ne scaurais mieux dire, continue jusqu'à la fin. Parlons
donc de la personne.
L'Artiste:
29. Je te connais, tu es beau, resplendissant comme le soleil, parfait en
beauté, traitable, maniable, désirable, car je ne connais homme qui ne désire
t'avoir en compagnie et bienheureux est celui qui te possède.
30. Et quant à la couleur que je vois en toi, c'est celle qui est tant
désirée des sages, laquelle est mussée en ton occulte, c'est la première
apparence qui sortira de toi en faisant ton voyage, car je ne te voyais qu'en
esprit et connaissais bien les grands trésors cachés en ton profond qui me
semblaient inestimables.
La Matière:
31. O fils de doctrine ! je te jure que tu es vrai sage, on ne saurait mieux
parler de moi que tu as fait, et pour ce, je te prie de continuer.
L'Artiste:
32. Et quand j'ai dit que tu avais six cornes et six oreilles, lesquelles
étaient pleines d'eau vive, je crois que c'est l'eau de laquelle tu as été
engendré, et depuis nourri, et sans laquelle tu ne peux régner, et les 6 cornes
et 6 oreilles, ce n'est autre chose que le cours de ton voyage, car il y a six
mois ou environ que Nature ne fait autre chose que reformer et subtilier.
33. Les autres six mois coaguler, dessécher, calciner, incérer, fixer et
rubifier, voilà comme je l'entends.
La Matière:
34. O mon ami, je n'ai point trouvé homme qui ait osé entreprendre à me
conduire en mon voyage si sûrement que toi ; tu connais mon naturel occulte et
manifeste, suis toujours ce droit fil sans te fourvoyer et continue.
L'Artiste
35. Quant à la cruauté que tu dis être en toi je ne la trouve point cruelle
en mon endroit, ni en général au corps humain, ainsi cordial, délicieux ; il
est vrai que ceux qui sont contraires à ta volonté, qui sont de ta nature, tu
les précipites quand il te plait, pour ce qu'ils n'ont pu suivre la bonne voie.
36. Voilà pourquoi deux contraires ne s'entraiment point.
37. Et voici la cause ; tu es abondant en vertu et richesses spirituelles et
temporelles, vu que tu es venu plein de tout ce qui est nécessaire à multiplier
et peupler ton royaume sans aucunement te diminuer.
[De plus, quel est l'esprit universel que celui du C , ne l'est-il pas? Y en a-t-il d'autres que
celui qui l'a engendré.]
La Matière:
Tu dis vrai.
L'Artiste
38. Quand tu me commandais de te tuer, tu n'entendais pas que je te tuasse
humainement d'une cruelle mort, mais de la mort naturelle ; car qui se tue de
soi-même est homicide, et est damnable et perdu à jamais ; au lieu de monter ès
hauts lieux célestes, et descend aux plus profonds abîmes de la terre, sans
aucune rémission ni moyen de ressusciter ni de se sauver.
La Matière:
39. Ta parole est véritable.
L'Artiste
40. Je veux passer plus avant ; quand tu m'as commandé de t'accompagner tant
nuit que jour avec une torche flambante, pour t'éclairer par le chemin de ton
voyage, ce n'est autre chose que la chaleur qu'il faut faire et maintenir tout
le temps nécessaire pour la décoction, à celle fin de rendre ton corps en tel
degré qu'il était en sa première création, alors tu seras spirituel et monteras
ès régions célestes, et de là tu verras tes sujets et tes vassaux.
41. Et sache, révérend, qu'il n'y a autre chemin, et tous ceux qui cherchent
autre moyen sont trompés et loin de la droite voie.
42. Et quant à l'avertissement que tu m'as fait que tu as trois ennemis
desquels il faut que je me donne garde, et que tu les crains.
43. Assure-toi par ma loyauté qu'ils ne t'offenseront point, car je connais
tout ce qu'ils peuvent faire et m'en garderai par la grâce de Dieu.
44. Quant à Vulcan, il est dangereux, mais je lui baillerai une bride et le
tiendrai si court qu'il ne pourra rien faire, et pour ce n'ayez peur de lui.
45. Et pour Neptune, il n'a aucune force, si je ne la lui donne ;
46. mais le poids et mesure est en mon cerveau.
47. Quant au dieu d'impatience, je commande à mes facultés, de sorte qu'à ne
me surprendra pas, car je m'armerai d'une patience indicible et pour ce ne
crains point car je ne t'abandonnerai point que tu ne sois glorifié et que tu
n'aies accompli ton voyage.
48. Et pour ton entretennent ; je connais la force de ton estomac et ce que
tu peux digérer, bref je te conduirai avec une prudence et gaîté de cœur, que
tu n'auras point occasion de te fâcher car je sais le dehors et le dedans de ta
complexion.
La Matière
49. Tu dis bien, mon ami ; il faut maintenant parler des nuances, et signes
qui se feront en cheminant, et des opérations occultes ainsi qu'elles
travailleront l'une après l'autre, et le moyen comme tu te gouverneras au
régime et le tout par ordre et distinguer le temps des influences célestes,
sans lesquelles je n'aurais point de vie ni de vertu, et en quelle qualité je
pourrai être à la fin de mon voyage, et qui me viendra reconnaître pour son
seigneur, et qui m'offrira son service, et quelle opinion ils auront de moi, et
quel bien ils prétendent de moi, et de quels degrés, je les puis honorer.
L'Artiste:
50. Révérend, tu m'as chargé de grandes choses et très difficiles ;
Bienheureux est celui qui entendra telles paroles car ce sont paroles
descendues des cieux. Je ne suis pas ébahi si tu n'es guère commun aux hommes,
pour ce que tes qualités et propriétés sont plus spirituelles que temporelles,
et ne faut pas qu'un homme de gros' cerveau s'en approche pour en avoir
connaissance, encore qu'on lui dit mot à mot, il n'y entendra rien si Dieu ne
l'inspire. Toutefois, ô Révérend, je le déduirai au mieux qu'il me sera
possible selon la grâce que Dieu m'a faite, et s’il y a quelque faute à ma
déduction, je prie ta révérence de me redresser et me mettre au droit chemin.
Il nous faut parler des opérations que Nature fait occultement en ton profond
Radical.
51. Et premièrement, aussitôt que la composition est faite des deux
matières, elles s'embrassent dix jours ou environ. Exemple: quand un homme
prend son repas, il mettra un morceau de pain dans sa bouche et un morceau de
chair et il les mâchera premièrement que d'avaler ; cela est l'embrassement que
nous disons.
52. Après cela autres dix jours, nous appelons humecter pour ce que les
pores de l'un et de l'autre sont ouverts et commencent à entrer l'un dans
l'autre, et tout cela se fait avec la vertu de la chaleur qui circule tout à
l'entour,
53. et huit jours après, nous appelons dérompre, qui est la première
subtiliation (ou sublimation) ou le commencement de la génération, c'est alors
que Nature est en chemin de bien faire son devoir et les unir ensemble, de
sorte qu'ils soient inséparables.
56. Et note que par ce moyen toute la gloire des cieux et des dieux et
déesses se viendront présenter pour te recevoir et offrir leurs services chacun
selon son office, en leurs temps et lieux, qui est le droit chemin de ton
voyage, et te conduiront fidèlement.
La Matière:
57. O mon ami, j'ai pris grand plaisir à entendre le discours que tu as fait
de ma nature et occulte complexion ; je crois que tu as été nourri au profond
de mes entrailles tant tu en parles savamment. C'est un discours angélique que
le tien et je te prie de poursuivre, je prends grand plaisir à t'ouïr parler,
car tu as bien entendu l'intention de Nature et le cours naturel de ma
personne, par quoi je ne puis faillir à faire mon voyage sous ta conduite, Dieu
aidant.
L'Artiste
60. Il est vrai qu'étant par le passé inhumé et baigné de cette eau en
quantité, sa vertu ne dominait aucunement, mais travaillait si subtilement que
toutes ses parties contraires n'en sentaient rien, et ne s'en sont aperçues que
jusqu'à ce que tu les aies vaincues de la moitié de leurs forces, à savoir de
leur frigidité et humidité, et alors elles ne peuvent plus résister contre toi,
et se laissent gouverner.
61. Ici est la première apparence de leur résurrection que nous appelons, et
la cause est que cette eau est générative, et de telle nature qu'elle ne se
peut vaincre que par la cruauté de Vulcan contre lequel j'ai mis un rempart,
lequel ne te pouvait nuire ni approcher, car c'est de lui que je me défie le
plus pendant ton chemin.
62. Et maintenant, je parlerai de la congélation, dessication, cinérisation,
calcination, fixation, enfin de la rubification.
63. Et premièrement, congélation n'est autre chose que la diminution de
l'humidité, se convertissant en chose sèche, autrement terre, mais l'humidité
domine encor, et ainsi s'en va épaississant l'humidité s'en va consommant, et
quand le sec domine, l'humidité perd sa force, nous appelons cela dessication,
toutefois il n'est pas encore sec, car il y a différence entre sec et sécher,
car sécher n'est que le chemin pour venir à sec.
64. Et pour venir au sec, il faut que cette humidité se consomme peu à peu
et quand elle est du tout consommée, alors il est vraiment sec et est la vraie
dessication.
65. Or, venons à la calcination. Calciner proprement est tirer une humidité
superflue incorporée au profond radical de la matière, laquelle empêche plus
qu'elle n'aide.
66. Et pour ce, je la tire par subtil moyen, d'autant qu'en la tirant je
pourrais offenser celle qui est génératrice.
68. Cinérisation de laquelle il nous faut parler, est quand la matière est
en tout séparée de toutes humidités bonnes et mauvaises, et qu'elle reste
altérée, c'est-à-dire sans aucune humidité, et c'est comme une cendre grise
impalpable de nature de feu et ne se peut tenir en corps à cause de sa siccité
ignée et ne peut être en corps solide.
69. Mais le remède est fort aisé, car il ne faut que réimbiber avec son eau
même, alors elle reprendra corps maniable et traitable.
70. Venons maintenant à la fixation, et note que ceux qui se voudraient
aider de ladite poudre ne pourraient pas, car elle n'a pas encore reçu le don
de fixation, et quand nous l'aurons imbibée nous la chaufferons de la chaleur
première parce que nous l'avons rétrogradée ; il est vrai qu'elle fait son
opération plus briève que la première, toutefois pour ne laisser rien en
arrière, c'est que tant plus il y a de matière, tant plus il y a de vertu.
71. Il faut que nous parlions à présent de la fixation et rubification
suivant la vérité et ainsi pour fixer il faut que Nature ait travaillé dès le
commencement jusqu'ici sans aucune faute, car si elle faisait. quelque erreur
en son régime, par accident, car d'elle-même elle n'en peut faire, nous serions
trompés, mais n'ayant point failli, le tout se peut fixer, car la vraie
fixation est que toutes les choses et nuances susdites aient perdu leur force.
72. La fixation ne se peut montrer autrement, mais Nature et moi nous nous
sommes promis d'achever le tout et de ne nous pas abandonner l'un l'autre qu'il
ne soit achevé ; par ainsi, quand nous avons conduit bien et justement et de
nuance en nuance la fixation, alors elle se montre laquelle est conçue et
engendrée dès le commencement vapeur se va croissant, ainsi que l'œuvre se va
faisant, parce que fixer n'est autre chose que fortifier afin de soutenir tous
les assauts que l'on lui pourrait donner.
73. Et pour savoir que c'est et, comme il se fait, je le dirai par le menu
au commencement de l'œuvre, toutes choses volatiles et humides dominent,
s'exhalent et s'évaporent, d'autant qu'elles ne sont pas cuites, mais les
cuisant comme l'on doit, ces choses volatiles et spirituelles se dessèchent, et
se desséchant elles. se fixent, et ainsi que le régime continue jusqu'à la fin
qu'elle résiste contre tout examen, il est vrai qu'il faut augmenter le feu
d'un degré et quant à la rubification,
74. elle suit de près ou ils ne peuvent cheminer l'un sans l'autre car ainsi
que la fixation se va faisant petit à petit, le rouge se va rougissant, et ne
vous fiez point aux livres des envieux qui mettent tout ceci en plusieurs
parties, ce n'est que pour tromper et confondre l'entendement des pauvres recherchant
la science.
75. Il y a encore un point dont je vous veux avertir, c'est qu'il ne faut
pas qu'il y ait séparation de toutes les choses susdites, autrement tout serait
perdu car il faut que le régime fasse tout, et non autre chose ; mais il faut connaître
la possibilité de Nature, qui cela connaîtra, connaîtra tout l'art.
La Matière
76. Ami, il ne peut être que tu n'aies été le scrutateur des principes de ma
nature, car tu sais leurs complexions et leurs propriétés occultes et
manifestes, et pour ce, parle un peu de mes vertus et libéralités et comme il
faut les appliquer et à quelles personnes, tant pour maladies que pour la
commodité de cette vie caduque et aussi des œuvres de miséricorde et le tout
par ordre fidèlement.
L'Artiste:
77. J'ai déclaré le cours de l'œuvre depuis le commencement jusques à la
fin, et maintenant je veux parler de la complexion et qualité au plus près de
la vérité.
78. Ta complexion acquise et première création est celle-ci: savoir tu étais
simple et n'avais aucune puissance que pour toi, car elle ne descendait point
plus loin que ta personne, et la raison, pour ce que tu n'étais pas glorifié et
n'avais acquis que ce qui te faisait besoin, et aussi Nature n'avait que simple
matière, et ne pouvait faire que simple forme, et étant ainsi en cette première
qualité tu étais en danger d'être ainsi à jamais.
79. Et moi cherchant de parvenir à cette bienheureuse connaissance, je t'ai
trouvé, quelque cruel que tu disais être, et ne laisse pas d'avoir grand désir
de t'avoir en ma compagnie, parce que je [ne] connaissais [pas] qu'en toi était
caché un grand trésor, et pour cette cause, je ne craignais rien parce que je
savais le moyen de te dompter (a) Variante du
Troisième Traité: " Et comme tu t'es déclaré a moi, j'ai entendu ta volonté
dont je me suis réjoui de t'avoir rencontré car je te ferai voir la gloire des
cieux qui est ton désir et lors ta grande vertu cachée qui ne se montrait point
sera vue et connue et lors on te recevra, car auparavant on ne tenait compte de
toi. Quand tu me commandas que je te tuasse, ce que j'ai fait, et puis
ressuscite, car la mort serait damnable sans la résurrection donc j'ai fait
l'un et l'autre par le moyen qui s'ensuit.
Quand je voulus commencer, je te pris tel que
Nature t'avait formé et te fis mourir langoureusement, car la mort violente est
damnable et n'en connais point d'autre que celle-là, c'est la mort heureuse et
la résurrection glorieuse, et si tu etais mort d'autre mort tu ne pourrais
glorifier tes vassaux. L'exemple de ce est que l'homme en sa première création
est conçu et engendré de péché par la chair corrompue d'Adam qui ne cherche
qu'à mener ce corps à perdition et est si abêti qu'il n'en voudrait jamais
bouger, et par ce moyen ne voudrait jamais voir la gloire des cieux, car la terre
ne demande que la terre, mais quand l'homme meurt en Dieu, son corps est mis en
terre, et la terre lui mange toute cette corruption grossière et quand viendra
le temps que chacun ressuscitera alors un chacun reprendra son corps, lequel
sera glorifié et ne sera plus sujet à la corruption ni à aucune chose. Voilà à
quoi ressemble ton mystère. Je t'ai conduit par même voie ou semblable selon ta
nature. " ,et par ainsi j'ai fait ainsi que tu m'avais dit, car
je t'ai mis ainsi que Nature t'avait formé, et peu à peu je t'ai fait mourir
langoureusement, car la mort violente est damnable et la mort par laquelle je
t'ai fait mourir est heureuse, et après elle s'ensuit la résurrection glorieuse
dont tu es ressuscité s'il allait autrement, que tu fusses mort d'autre mort,
et ressuscité d'autre résurrection, tu ne pourrais voir les célestes dieux ni
leur gloire, car en la première création, tu n'étais que terre, ni ne cherchais
que terre, qui ne t'en eût ôté, tu y serais encore si tu n'eusses été vicieux,
tu ne fusses jamais ressuscité glorieux et ainsi que la terre a mangé toute
cette grossièreté de ce corps humain, ainsi par mon industrie, cette grosse
forme que tu avais acquise en la première création', je l'ai fait consumer par
feu et par eau tant qu'elle est convertie en autre nature plus précieuse
qu'elle n'était, pour ce que sa nature s'étend jusques à l'infini sans se
diminuer d'aucune chose, et maintenant tu es glorifié et tiens le siège le plus
haut qui soit entre les dieux de ta nature, et chacun te viendra reconnaître
pour son Seigneur, et ne se trouvera aucun qui te puisse vaincre que le
souverain, voilà comme je t'ai conduit tout au long de ton voyage.
80. Maintenant ne me sois ingrat, considère la grandeur en laquelle je t'ai
mis, avise si j'ai failli en quelque point, dis-le moi et me déclare la faute à
celle fin que je la connaisse, car elle m'est inconnue.
La Matière:
81. Mon ami tu as été assisté et conduit de cette grande prudence divine car
homme mortel de soi-même ne saurait pas par quel bout commencer tant elle est
inconnue et difficile, je ne te puis mieux donner que cela, c'est que je mets
et mon corps et ma vertu entre tes mains, pour en disposer ainsi que tu
connaîtras qu'il sera bon et nécessaire, c'est toute la reconnaissance que je
te puis donner je veux que tu sois participant de toutes mes facultés et bien
te soit.
L'Artiste:
82. Nous avons parlé du fruit de bénédiction sorti de toi, maintenant nous
parlerons comment. il le faut appliquer.
83. Premièrement on doit regarder où la nécessité est grande et là
l'employer, soit maladie, nécessité, boire ou manger, et quelles gens.
84. Je veux dire qui sont les pauvres, ce sont les veuves, orphelins filles
pauvres à marier, prisonniers honteux et ceux qui ont consommé tous leurs biens
en cherchant cette divine science, j'entends en toute loyauté et sincérité de
cœur, qui ne se sont point aidés du style des sophistes au dommage du prochain
en le trompant, racheter les captifs des mains des infidèles.
85. Voilà ce que j'entends ô Révérend ; je veux faire une petite exhortation
à tous les fidèles enfants de la science, afin qu'ils puissent plus facilement
y entendre.
Amis lecteurs, soyez tous attentifs, et prêtez l'oreille à bien entendre le
fait de ce petit discours que j'ai fait le plus fidèlement et familièrement
qu'il m'a été possible, et priez Dieu de bon cœur et il vous inspirera de son
esprit, à charge de prendre résolution de bien vivre en gardant sa sainte loi
et le moyen qu'il faut tenir sans crainte de faillir, vous servant pour
médiatrice de la sainte vierge Marie. Il vous faut tenir une voie seule facile
et aisée, et n'y est requis grand travail des mains, seulement entendre ce qui
est convenable à la matière, et ce qui lui est contraire. Voilà les deux points
principaux, et me laissez toutes ces drogues et matières étrangères, mais ce de
quoi je me suis servi, je l'ai eu dans le globe à savoir au profond de ma
matière. Je n'ai rien mis en avant qui ne soit nécessaire à l'Artiste, car s'il
ne sait cela il faillira dès le premier jour qu'il commencera, car je n'ai
parlé que de ma matière et de sa nature, et de toutes les nuances qui se font
en la cuisant, et des opérations occultes de Nature et du temps ; pour quoi il
ne faut point tant feuilleter de livres, lesquels ne font que rompre la tête au
lecteur et le reculent plutôt qu'ils ne l'avancent, et pour ce je vous prie
tous de ne vous point y amuser, si vous avez envie de parvenir, car elle ne se
fait point avec multitude de matières, mais seulement elle se fait avec deux,
lesquelles sont sorties d'une même source ; il est vrai que l'un est cuite et
l'autre crue, et les faut prendre pures et nettes, ainsi qu'elles sortent de
leurs minières, et le tout est de les savoir accompagner par un saint mariage,
à savoir par les bonnes odeurs, comme dit Arnaud de Villeneuve. C'est tout
l'art, et se multiplie elle-même en son germe, et ne demande point d'aide
étrangère, car elle a en soi tout ce qui lui faut pour son organisation sans
rien emprunter d'autruy. Témoin la génération de l'homme et de la femme, et semblablement
des bêtes à quatre pieds pour se multiplier, n'y faut autre chose que le sperme
de mâle et femelle des volatils, de même que l'on se conforme en cela, car
c'est tout. L'on en laisse le jugement à tout homme sage.
Maintenant, je veux parler à ceux qui veulent faire notre œuvre par
distillations, sublimations vulgaires, et d'autres par triturations ; tous
ceux-là sont hors du bon chemin, en grande erreur et peine, et n'y parviendront
pas, parce que tous les noms et manières d'opérer sont mots métaphoriques, et
pour cela les Sages les ont écrit pour les cacher. Les noms toutefois sont
véritables à qui les entend, dissoudre les corps fixes, c'est-à-dire, leur ôter
et faire perdre cette forme tant dure et la rendre volatile voilà ce que c'est
que distiller en philosophie. Or sublimer est aussi une même chose, c'est
principalement faire monter au ciel cette terre fixe, c'est-à-dire au ciel de
ton globe et non pas au ciel du vaisseau ; c'est là la vraie sublimation des
sages, et non pas des sophistes qui pensent faire monter notre terre par force
de feu et par grande trituration manuelle, chose qui est impossible à l'homme,
et aussi malaisé que celui qui voudrait cheminer des oreilles, et pour vous
mettre hors d'erreur, je vous dis que Nature fait tout cela d'elle-même, en lui
continuant seulement son feu bien-aimé, qui est cause que Nature d'elle-même se
distille, se purifie, nettoie, blanchit, se lave et blanchit son ouvrage et le
parachève, qui de main ni de travail corporel ne se fait, mais contentez-vous
de ce petit travail, car si vous le savez bien entendre, vous êtes bien
heureux, d'autant qu'il n'y a point de paroles étrangères ni superflues, mais
toutes nécessaires et prises au profond du globe de ma matière, et pour ce s'il
y a quelque chose davantage, dis-le moi, afin que je le fasse entendre aux
esprits généreux de la science divine.
La Matière:
Je n'ai rien à répliquer contre toi, vu que tu as tout dit et bien expliqué
par le menu, et très aisé à entendre.
L'Artiste:
Je traiterai des trois maisons et de leur fondement ; je crois n'en avoir
rien laissé à dire: bien est vrai qu'il y a de petites choses cachées qui ne se
peuvent dire ni savoir qu'en travaillant, et pour ce sois patient et vigilant
pour découvrir ces petits passages cachés et secrets au profond du globe de
notre magistère ; les philosophes n'ont point écrit ces choses que confusément,
pour cacher l'art aux méchants.
Quant à la multiplication, quand la matière est venue à sa perfection c'est
le vrai élixir, et pour le multiplier à l'infini R de l'eau qui a servi à sa
composition et dans laquelle fi a été fait un poids d'élixir sur dix d'eau et
décuis le tout en vaisseau fait comme le premier au même régime de dix jours,
par même chemin un sur dix, le dix sur cent, le cent sur mille, etc. et d'elle
se fait la médecine des métaux qu'il faut abaisser prenant un poids de l'élixir
et de l'eau susdite et les incorporer et faire cuire ensemble au même régime
jusqu'à ce que tout soit en poudre. Fais cela quatre fois puis, si c'est au
blanc R quatre dragmes de lune fine quand elle sera fondue jette dessus une
dragme de médecine, mêle avec un bâton tant que la lune ait tout bu, jette en
lingot et sera médecine pour imparfaits.
Ayez l'agent qui est le lion verd et le patient qui est son frère utérin,
appelé nigrum nigrius nigro, tirez en l'esprit ou la partie supérieure
de l'âme par la dissolution, c'est le mercure des Philosophes puis en tirez
l'âme qui est l'huile, feu ou soufre secret et caché rouge et sang de ce lion
verd, puis en tirez le corps et après la purification joignez-les par
imbibition, trituration, dessication, soit au blanc ou au rouge, tant qu'il
soit propre à faire projection.
Pour ma conclusion je vous ferai un petit sommaire de plusieurs points que
je n'ai point écrits d'autant que les Philosophes n'en font point mention dans
leurs écrits, à tout le moins la plupart, et ce sera pour ma conclusion.
86. On doit savoir que Nature en ses actions, compositions, corruptions et
conjonctions fait tout cela occultement en son premier temps.
87. Puis l'ayant fait, commence à les manifester [l'un après l'autre] ainsi
qu'elles apparaissent, et c'est ce que nous appelons nuances, qui n'est autre
chose que les opérations des corps célestes, et sont toutes différentes les
unes des autres.
88. Pour bien entendre en la mortification du corps et dissolution tout se
fait occultement, et ne se voient que ténèbres et obscurité qui est le vrai
signe de la mort d'iceluy, et l'esprit ne se corrompt pas lorsque le corps se
corrompt et c'est à cause de sa crudité et frigidité, et puis le corps
corrompu, il corrompt l'esprit et à cette corruption de l'esprit apparaissent
toutes les couleurs du monde, ainsi que la décoction continue ; au commencement
quand l'esprit se corrompt les couleurs apparaissent l'une après l'autre ; mais
à la fin toutes se viennent rendre au-dessus de la superficie du globe de la
matière, et cela est près de la fin ; icelles exhalées n'apparaîtra plus que le
blanc parfait duquel on se pourra aider.
89. Et après icelui viendra le citrin mais il est inutile car ce n'est autre
chose que la couleur qui se présente entre le blanc et le rouge, et n'est ni
blanc ni rouge, mais une couleur fantastique et inusitée.
90. Je commencerai à parler de la multiplication, et de premier, de celle
qui est pour le corps humain, comme la première matière est venue à la fin de
sa perfection, c'est le vrai élixir et pour le. multiplier à l'infini, il faut
prendre de l'eau de laquelle elle a été faite et composée dedans, à scavoir un
poids de l'élixir sur dix poids de ladite eau et la mettre dans un vaisseau
semblable au premier et mettre le tout en décoction comme la première œuvre et
au même régime de dix jours.
91. Et au bout de dix jours recommencer et ainsi faire par quatre fois et se
multipliera à l'infini.
92. Par même chemin la première sur dix, la seconde sur cent, la troisième
sur mille, la quatrième sur dix-mille, et irait à l'infini qui voudrait suivre
cette voie.
93. Et d'elle se fait la médecine des métaux qui ne se fait pas ainsi, car
il lui faut abaisser cette force, pour ce qu'étant ainsi elle les précipiterait
et ne ferait chose qui vaille.
94. Et pour l'abaisser faudra faire comme s'ensuit
95. Je prends un poids de mon élixir et de l'eau susdite et les incorpore
bien ensemble et les fais cuire au même régime que le premier jusqu'à ce que
tout soit converti en poudre et fais cela par quatre fois et quand elle sera à
la fin, si c'est au blanc, faut prendre quatre onces d'argent fin et le fondre,
puis jeter une once de la médecine dessus et les mêler avec un bâton tant que
l'argent ait tout bu, et puis les jeter en lingots, et sera médecine pour les
métaux imparfaits, et pour le rouge il faut faire de même avec le rouge. Laus
Deo.
96. Nota qu'il faut avoir l'agent qui est le lion verd, et le patient qui
est son frère utérin appelé niger nigrius nigro et tirer l'esprit qui
est la partie supérieure de l'âme, par la dissolution, qui est le mercure des
Philosophes.
97. Après en tirer l'âme qui est l'huile, air ou soufre secret et caché qui
sera rouge, qui est le sang de ce lion verd, et après en tirer le corps, et
après la purification les joindre par imbibition, triturations, dessications
soit au blanc ou au rouge tant qu'il soit propre à faire projection.
FIN
DEUXIÈME
DIALOGUE
SUR LA
CONDUITE DES PHILOSOPHES
OU LEUR
GRANDE THÉRIAQUE
par
Jacques Tesson
Demande. — Qu'est cela que les Philosophes ont tant diligemment
cherché et trouvé, tant obscurément traité en la composition d'un corps
métallique inconnu?
Réponse. — C'est une substance hermaphrodite qui a vertu de guérir du
corps toutes infirmités, tant chaudes que froides, et de ressusciter tous
métaux morts par les accidents qui sont survenus à Nature, au temps de leur
décoction.
D. — Que fut cette substance et d'où tire-t-on telle vertu?
R. — De deux espèces contraires, toutefois toutes deux d'une nature
et vertu.
D. — Quelles sont les qualités de chacune en son particulier et en ses
complexions?
R. — L'un est chaud et sec, et celui-là est le masculin, l'autre est
froid et humide, qui est le féminin. L'un est dur, l'autre est mol, l'un est
fixe, l'autre volatil. L'un est citrin l'autre est blanc. L'un est de nature de
sol, l'autre de lune. L'un est feu l'autre est eau, l'un est esprit fœtent,
l'autre est esprit cru. Et faut savoir qu'il n'y a que ces deux matières tant
seulement auxquelles matières les Philosophes ont baillé noms infinis et
étranges savoir au masculin Roi, vieillard, feu, terre, soleil, esprit fœtent,
agent, forme, sperme masculin, gomme rouge, Gabertin frère de Beja, soufre et
plusieurs autres noms. Et la femme est appelée Reine, femme blanche, Rosée,
esprit fugitif, neige, colombe, sel fleury, eau vive, fleur de pêcher Beja,
Dragon, lion, chien méridional, vierge épouse, eau sèche, vinaigre, eau de vie,
Duenech, Azoth, fumée, vitriol, mercure, laict, sueur, mère, vapeur, humidité
visqueuse, le crachat de la lune, air, eau inconnue et plusieurs autres.
D. — Qu'est-ce que la magnésie des Philosophes?
R. — C'est quand le Philosophe a fait sa composition ainsi qu'elle
requiert, lors est la magnésie vraie des Philosophes. L'on a tenu qu'il fallait
prendre tout l'ordre céleste à faire cette composition c'est à savoir la Très
Sainte Trinité, les Anges, Archanges, Chérubins, Séraphins, Principautés,
Trônes, Puissances, Vertus, Dominations, et tout ce qui est aux cieux. Tels
gens n'y entendent rien, mais bien faut confesser que quand, l'on veut
commencer l'œuvre, il faut avoir avec soi la grâce de Dieu, car qui sera en la
grâce de Dieu, il aura tout ce que dessus est dit et quant à la matière elle a en
soi tout ce qui lui faut pour se multiplier en sa nature et c'est pourquoi elle
est appelée hermaphrodite.
D. — Quand elle est ainsi composée comme il convient, quel premier
effet a-t-elle en son opération?
R. — Les matières s'embrassent inséparablement, savoir les matières
corporelles et grosses, après, elles s'humectent, elles se dérompent, elles se
meslent du meslement corporel, puis se vivifient de l'union corporée.
Pour entendre ce meslement parfaitement, il faut savoir que cette matière
est de telle nature que jamais ne produira ni ne fera effet aucun non plus
qu'une chose morte, si premièrement ces deux matières ne sont faites une seule
chose, dont après cette union les vertus élémentales enfermées dans l'une et
l'autre viennent à manifester les opérations qu'elles ont fait occultement, par
laquelle production on connaît la vraie union matérielle et corporelle.
C'est la méthode de l'artiste de connaître si la matière a été bien conduite
par le régime qu'il a fait quand il voit la mutation de sa matière et que les
éléments ont opéré occultement, c'est qu'en un certain temps ils ont fait la
démonstration de l'opération occulte qui est une couleur noire, laquelle ne se
manifesterait jamais sans cette union corporelle qui est comme a été dit
ci-dessus terre & eau auxquels sont cachés les deux autres éléments: car en
la terre le feu est caché dans son profond et luit dans les entrailles de l'eau
et par cette union corporelle lesdits éléments sont mêlés et unis les uns avec
les autres qui est cause de démonstration susdite or je dis ainsi que cette
mutation de couleur est vraie transmutation en ce que les natures (grosses
métalliques), perdent entièrement cette qualité et forme, et sont en voie d'en
acquérir une sans comparaison plus excellente et plus digne en toute vertu et
puissance que cette première moyennant que l'artiste ne lui manque de son
devoir.
C'est une haute matière, aussi est elle assimilée à la Très Sainte Trinité
en cette manière que Dieu en son essence est seul et unique et incompréhensible
et sont toutes choses procédantes de lui car c'est l'origine et cause
premièrement de toutes choses, puis Jésus-Christ qui est sa parole et sagesse
et son image, lequel toutefois est humain et a pris notre nature humaine
corruptible, car il est mort pour nous, combien que la divinité fut conjointe
avec lui, néanmoins falloit que ce corps souffrit la mort et d'ailleurs il a
été sujet à toutes infirmités comme nous savoir il a eu chaud, froid, faim,
soif et a été lassé et s'est reposé, puis le Saint-Esprit qui est la vertu et
puissance de Dieu et le consolateur: car Jésus-Christ dit à ses apôtres qu'il
leur enverrait le Paraclet, qui sont trois et toutefois en une seule chose, et
ainsi selon sa nature et qualité, parce que Dieu a créé notre matière seule et unique
ayant en soi tout ce qui est lui besoin pour l'augmentation de son genre, et
est appelée Cahos, l'origine ou cause première de tous métaux. Le Cahos par
décoction naturelle ès veines de la terre a conçu et engendré la matière la
plus incorruptible de toutes les matières créées qui est notre corps fixe que
j'appelle corps humain parce qu'il est mortel, et faut qu'il meure et
ressuscite, afin qu'après sa résurrection il ressuscite tous les autres métaux
imparfaits, morts en péché selon leur nature ce qu'il ne pourrait faire s'il
n'était plus que parfait toutefois il n'est que la substance la forme et image
de ce chaos et par la vraie union faite de lui et de ce cahos s'engendre cette
vertu et puissance, de laquelle tous corps métalliques demeurés en derrière de
leur perfection, pour les accidents qui leur sont survenus ès 'entrailles de la
terre, sont ressuscités et faits participants de la béatitude céleste grâce à
l'élixir, et ainsi que Jésus-Christ en son humanité a été pur et net, et mérité
par sa pureté la vertu et force de racheter l'humain lignage corrompu et vicié,
ce qui est requis à notre corps fixe, cette science est un don de Dieu.
D. — Qu'est-ce que dissolution et putréfaction des sages Philosophes?
R. — Purgation, putréfaction, dissolution, sublimation se fait en quatre
mois et demi. La végétation coagulation fixation et ressuscitation du corps
mort et vivification se fait le reste du temps jusques à neuf mois et demi.
Dissolution se fait le premier qui n'est autre que de convertir le corps permanent
et c'est de le faire monter de terre ès cieux et c'est pour bien l'entendre
délivrer l'esprit du terrestre qui le retient au fond de la masse en sa matière
et s'élever en haut par tout le globe et faire le fixe volatil qui est la
subtiliation des Philosophes vraie, et c'est aussi ce qu'aulcuns des
Philosophes ont entendu par ce passage disant que Saturne est le crible des
Sages pour ce qu'en la première opération c'est lui qui opère car le propre
d'un crible, c'est de subtilier et unir ensemble, et autres Philosophes comme
saint Thomas d'Aquin dit qu'il la faut faire passer par le travers de la peau
d'un lièvre, mais disant ainsi il n'a pas entendu autrement que la vraie
subtiliation philosophique et vraie union. Sur ce les ignorants se peinent et travaillent
à faire passer l'argent vif et métaux dissous avec iceluy dans une peau, disant
que c'est la vraie subtiliation et union des Philosophes, alléguant les
auteurs. Mais jamais ils n'ont entendu l'intention de leurs auteurs car s'ils
les eussent entendus ils n'eussent pas pris les paroles selon la lettre, et
après cette union se fait la putréfaction des deux matières, qui est leur
mortification scavoir des deux corps fixes et non fixe et faut entendre en ce
que les vertus ne se corrompent jamais mais bien les 'matières grossières et
corporelles, et en la destruction de ces dites matières les vertus élémentaires
viennent à s'unir ensemble et après cette union la vertu active et végétative
vient à produire cette quintessence laquelle ne se corrompt jamais et est tant
en vertu qu'en quantité une seule chose sans ancienne partialité, à savoir
qu'elle ne participe plus ni du feu ni de l'air ni de la terre ni de l'eau, car
c'est seulement la seule et unique vertu et substance d'iceux, mais quand la
matière est putréfiée et corrompue elle sert à cette quintessence de substance
nutritive ; car elle attire à soi la chaleur et l'entretient le temps de toute
l'opération qui est le temps d'hiver, comme disent tous les Philosophes sur ce
passage: sublimation se fait en même temps, et par ce même Saturne, car
sublimer n'est autre chose que faire d'une matière dure corporelle homogène
grosse fixe terrestre pesante une matière subtile légère liquide, molle,
volatile aérée bref qu'elle fasse le même effet de l'eau permanente et la vraie
purgation et lavation des Philosophes: car elle perd entièrement la qualité et
propriété la forme et . la grossièreté de cette première métallique et en
acquiert une plus excellente en toute excellence tant en vertu qu'en quantité
qui n'est ni chaude ni froide ni humide ni sèche, bien attrempée en toute
perfection.
De la revivification, végétation coagulation et congélation.
Cela se fait ainsi
Jupiter prend maintenant possession de l'office de Saturne parce que si
Saturne demeurait plus que son temps requis, la matière ne s'avancerait pas et
demeurerait imparfaite, comme une chose noire et submergée d'eau à cause de la
frigidité et humidité en cette partie, car l'opération de Jupiter est
différente, à cause de sa frigidité et siccité, il assemble et incorpore ce que
Saturne avait assubtilié et jeté par l'air, ce qui l'avait fait monter de terre
aux cieux, Jupiter le fait réserver en son centre, et aux lieux propres dont
ils étaient sortis, qui est leur profond radical, et ainsi il rassemble et rebaille
le commencement de nouvelle forme au corps, qui est la coagulation ; c'est ce
que le poète dit feignant que Jupiter s'est converti en pluie d'or, laquelle
retombe sur la terre goutte à goutte, et ainsi qu'elle tombe, elle se coagule
et congèle, et tout se fait peu à peu, dont la fiction du poète demeure
véritable, car c'est en ce temps-là que la matière commence à se convertir en
teinture d'or occultement et prendre forme corporelle.
Voilà quant à la première coagulation laquelle dure vingt jours. Il est dit
que ce Jupiter est le lavandier des Philosophes en ces vingt jours et parce
qu'en ce temps la matière se va purgeant peu à peu de son obscurité et
corruption, c'est ainsi qu'elle était noire corrompue et putréfiée, maintenant
elle est nette revivifiée tant qu'elle ne participe plus de sa première
opération. Voilà la fin de Jupiter.
Cet œuvre se fait et conduit par l'opération des planètes selon leurs lieux
et regard chacun en son temps par ordre, car les opérations des planètes
opèrent vraiment en cette divine matière, mais est à entendre substantiellement
et virtuellement, comme elles font aussi en toutes autres espèces végétatives,
mais qui plus qui moins, cy que les influences abondent plus aux unes qu'aux
autres, comme en notre matière, elles abondent abondamment en toute plénitude
tout ainsi que notre compost a en soi réellement et parfaitement, lesquelles
vertus et qualités élémentales aussi participe-t-il de toutes les influences
des planètes: car Dieu ne luy a rien épargné, c'est pourquoi il est appelé des
Philosophes un petit monde, ce que ne sont pas tous autres genres, et cela se
fait en tous temps et en tous lieux par son art et par son bon régime, ainsi
que le requiert la matière en ses degrés et temps, et non par penser et
imaginer, comme je ne sais quels volages qui sans fondement s'imaginent qu'il
faut commencer quand les planètes sont en leurs exaltations et forces,
et qu'autrement ne se peut faire, et ainsi que Saturne opère le premier mais
l'on doit attendre qu'il soit en sa force et semblablement de tous les autres
selon le temps de leurs exaltations, ce qui est plein d'erreur et de fausseté.
Pour la troisième opération l'on doit scavoir que l'humidité aqueuse a
toujours dominé jusques à présent en cet œuvre, et que Jupiter pour être
imparfait et impermanent, sans nul arrêt, vaporeux et mobile, n'est pas
suffisant de fortifier ni donner aucun commencement de fixation ni dessication,
et au défaut de son impuissance Venus est venue, laquelle a mis et posé le
principe de séquestrer les vertus internes, comme d'animer la matière et la
disposer pour venir à la fin parfaite, à savoir le commencement de dessication
et de fixation qui est selon les Philosophes émouvoir, affections tendant à la
propre fin et qualité, savoir le commencement de vouloir accroître son genre,
qui est aux lecteurs en peu de paroles une disposition de la matière pour venir
à la perfection de la matière lunaire.
D. — Et ainsi donc Vénus comme tu as dit ne fait que mettre les appétits et
forces pour inviter la matière à multiplier son espèce.
R. — Oui, mais elle n'est que le commencement seulement pour ce que sa force
ne s'entend que jusque-là.
D. — Qui est-ce qui vient après cela, si elle doit être plus
vertueuse en puissance?
R. — Oui sans comparaison, car elle est prochaine en perfection et
davantage elle produit fruit durable et substantiel, exempt de corruption
jusqu'au dernier jour que toutes choses prendront fin.
D. — Nommez-la.
R. — La lune est parfaite et ne l'est pas, car quant à la qualité
lunaire seulement elle est parfaite et imparfaite selon l'intention de nature,
parce que la même nature tendoit de toutes ses forces et vertus de la conduire
à la perfection du soleil.
D. — Et quand elle vient, quel signe fait-elle plus que les autres?
R. — Elle fait signes merveilleux et terribles, premièrement sa vue
chasse toutes vapeurs éparses par l'air lesquelles soient avec toutes leurs
ordures, rend les opérations suralléguées, comme de Saturne et Jupiter ;
troisièmement l'opération de Vénus lesquelles ne sont que couleurs apparentes
qui démontrent les opérations susdites desquelles les Philosophes se sont
servis pour le profit des pauvres artistes en forme de méthode ; car il faut
que l'artiste par son bon art les fasse naître du centre de la matière l'une
après l'autre et chacune en son temps sans usurper aucune chose l'une de
l'autre et tout cela est le vrai guide de l'artiste. Car il doit voir noir,
puis une couleur cendrée qui vient entre le blanc et le noir ; mais notez que
quand le noir appert en sa matière elle tient et participe de la vertu et
complexion de Saturne et de sa couleur c'est pourquoi ils ont appelé cet
endroit Saturne et non pas qu'il faille entendre un certain temps plus qu'un
autre, et ainsi semblablement de toutes les autres. Et encore soyez averti que
toutes les couleurs du monde paroissent toutes ensemble entre le noir et le
blanc desquelles il ne se faut servir: car à dire vrai il n'est demandé que
noir, blanc et rouge: car noir est entrée de parvenir au blanc et au rouge, qui
est la fin totale de notre intention ; et aussi de parfaite fin. Laquelle lune
comme j'ai dit ci-dessus cache à la vue toutes les couleurs et outre nettoie et
éclaircit et purifie toute obscurité et léprosité venues d'eux et davantage
fait prendre tout le mouvement du ciel et le fixe, et quiconque en mange tant
que ce soit, il vit longtemps sans infirmité aucune ; et ressuscite les plus
prochains de sa nature ; voilà ce qu'elle fait à sa venue.
D. — Demeure-t-elle toujours en cette vertu et dignité parfaite,
est-ce une chose perdurable en elle et aussi sa vive blancheur et resplendeur
lui est elle intollible? Ne la peut-elle jamais perdre par quelque moyen
artificiel?
R. — Non, la laissant en ce degré scavoir qui s'en voudra servir
telle qu'elle est ne muera jamais sa puissance ni sa vive blancheur et
resplendeur, mais toujours s'augmentera en affinité tant en vertu qu'en
blancheur et sa multiplication en vertu et quantité, car tant plus elle se
subtilise, tant plus sa vertu est infinie pareillement aussi sa blancheur rend-elle
permanente en blancheur et vertu.
D. — Comment faut-il faire pour s'en servir en ce degré de blancheur?
R. — Ote-la de son régime par lequel tu l'as amenée à telle parfaite
blancheur.
D. — Et qui l'amèneroit par ce même régime plus outre, que deviendroit
elle et quelle serait sa qualité?
R. — Ceci est grand secret, et l'entendez. Quand cette lune est présente et
qu'elle a chassé toutes les influences célestes toutes les opérations des
planètes et autres vapeurs qui se sont présentées devant sa vue, elle est
trouvée enceinte et vous rirez comme l'air l'a déçue très finement, car pour la
décevoir, il a pris l'effigie de mercure, parce qu'il scavoit bien qu'entre la
lune et mercure il y avoît grande consanguinité et proximité et venant à elle
en forme dudit mercure, elle s'est émue toute et ne s'est pu tenir de
l'embrasser à sa venue, et luy elle, tellement qu'en cet embrassement ont fait
leur œuvre requise, après baisers et autres attouchements et se sont si bien
émus l'un l'autre qu'il l'a imprégnée d'un fils qui est unique et sans pareil,
et regardera le soleil face à face sans fléchir la vue, et fera merveilles et
merveilles incroyables, et elle se trouvant ainsi trompée et déçue de l'air en
forme de mercure ne s'est pu autrement venger que de précipiter le mercure et
le rendre en cendres impalpables lui faisant perdre toute son agilité et
légèreté, le convertissant en une autre nature et ainsi pour répondre à la
demande pour jouir d'elle en parfaite blancheur au temps de sa présentation on
la fait avorter, savoir on lui fait mourir dans le ventre ledit enfant, et pour
ce a été défini entre les dieux de la conduire jusques au temps de son
enfantement par le premier régime: car ce seroit dommage pour une curiosité de
connoistre de vouloir perdre un tel fruit, et pour ce le régime de la conduite
se doit continuer jusques à la fin de son temps.
D. — Tu veux donc dire et conclure qu'il n'y faut pas toucher jusques
à ce temps de neuf mois pour le mieux, si ce n'était pour quelque grande
nécessité.
R. — Il est vray et c'est bien entendu.
D. — Traite, je te prie, de l'avènement de cet enfant et de
l'avènement de la mère, car ce doit être quelque beau mystère et grande
consolation à qui l'entend.
R — Il est certain qu'il ne peut être plus grand consolatif, car il
est dit que c'est la plus grande œuvre et plus excellente qui soit sous le
globe lunaire après avoir fait l'homme.
D. — Dis-moi le reste le plus facilement que tu pourras jusqu'à
l'accomplissement de l'élixir. .
R. — Quand les dieux ont su son imprégnation et le danger qui en pouvait
arriver. Mars est venu à leur requête, pour sa décharge, il l'a conduite au
grand Phoebus, et l'amenant, les douleurs qui succèdent de telles choses l'ont
pris, et lors a perdu toute sa vie blancheur, et entièrement est muée de sa nature.
Toutefois à son arrivée Phoebus avec toute sa gloire l'a reçue en toute
parfaite sublimité et l'a couverte de splendeur aussi jaune que l'or, et plus
claire sans comparaison, et Mars après l'avoir livrée s'en est retourné privé
de tout leur service, étant la noble déesse laissée en santé entre les mains du
roi Phoebus, et Phoebus en recevant l'enfant a frémi voyant qu'à son avènement
dieux et demi-dieux, tant aériens qu'aquatiques et terrestres se sont évanouis
éperdus devant lui tant il est terrible et redoutable, car il avait en lui tous
signes invincibles, ainsi sa chair était toute sanguinolente, signe de cruauté,
d'une rougeur qui excédait toute rougeur, puis semblablement a privé Phoebus de
toute sa force et gloire, et l'a annihilé du tout, si qu'il est demeuré seul,
et nul ne s'est depuis présenté devant luy de tous ceux qui auparavant ont
possédé son siège et royauté, et en signe de grandeur et victoire, portait à sa
main son bâton caducée flamboyant tout de toutes parts, jetait des rayons de feu
qui aveuglaient tous ceux qui entreprenaient de le regarder, et de l'autre
portoit une couronne de lauriers, et nul ne lui osoit contredire, et fut appelé
monarque pour l'obéissance grande qui lui était faite, et ressuscita à sa vue
tous morts universellement et de son odeur guérit toutes infirmités au corps
humain, et à cette cause est appelé élixir fait de l'arbre de vie, or potable,
médecine, Phoenix et ne diminue jamais de vertus et qualités. Amen.
SOMMAIRE
DE LA
PRÉCÉDENTE CONDUITE
EN FORME
DE PRATIQUE
CHAPITRE I
Après avoir circuit une grande partie des monts, je me trouvai lassé, si me
reposai près d'une mer que j'y trouvai et considérant sa grande valeur, ne me
pouvais satisfaire de la contempler par la grande délectation que j'y prenais,
en connaissant aussi les grands secrets qui y étaient cachés et inconnus aux
hommes, si ce n'est qu'ils leur soient décelés par la bonté divine, elle est
appelée mer sèche, et vis sortir d'icelle dix vierges immaculées lesquelles
faisaient toutes ensemble affectueusement l'amour à un roi d'une région
orientale qui était sans aucune macule ni souillure, et par tout pays estoit
appelé roi sans reproche, auquel tous autres rois rendoient obéissance, mais
par les grands empêchements qui étaient entre lui et lesdites vierges, ne se
pouvaient approcher l'un de l'autre, quoi voyant, je m'en vas droit aux
vierges, et les pris et les apostai près du roi, non toutefois sans grandes
peines, pour deux causes, une pour la pesanteur d'icelles, l'autre pour la
qualité, car elles n'avaient nul arrêt. Mais le roi les voyant ne leur scut
dire autre chose que ce que dit Adam quand Dieu lui eut présenté Eve: voici os
de mes os et chair de ma chair, car auparavant n'avaient été qu'une substance,
et par le grand désir de voir génération sortir d'eux je les mariai et
accouplai ensemble selon l'ordre de nature leur conservant comme très sage
Philosophe toutes leurs vertus tant radicales que végétatives et
multiplicatives, là où en cet endroit faut avoir grande considération, car, dit
on, à mal enfourner on fait les pains cornus, et n'ont point fait comme il est
dit en la généalogie des dieux des gentils d'une marâtre qui fit demi-cuire le
blé de sa maison pour affamer ladite maison et pour rendre la terre stérile,
cependant que deux jeunes jouvenceaux labouraient et cultivaient afin qu'après
ils semassent le blé pour rendre la terre féconde, ce qu'ils firent, ignorant
ce que la fausse marâtre avait fait, dont [elle] ne fructifia en rien, et
furent frustrés de leur bonne intention, à laquelle marâtre aucuns philosophes
ont comparé les alchymistes sophistes et vulgaires qui font en leurs
préparations de leur magistère de semblable, savoir par violence de feu et de
drogues corrosives par lesquelles ils brûlent et consomment toutes les vertus génératives
de leurs matières par leur ignorance: ayant donc ainsi conservé leurs vertus
prédites, les ai adaptées dans une chambre de verre bien propre pour eux et
environnée d'une petite muraille pour leur sûreté de tout heurtement, et ladite
chambre est fondée et posée sur trois piliers élevés en l'air, et pour m'aider
à leur servir en toutes leurs nécessités, ai, pris Tepor pour le service du roi
et Tempérence pour le service des vierges. Tepor est de la complexion du roi et
Tempérence de la complexion desdites vierges ; ne faut aucunement changer leur
service du commencement jusques à la fin, car leur service est convenable et
propre selon leur nature.
Tepor chauffe le bain, et le bain purge et chauffe la matière, et faut
continuer ceci jusqu'à ce que ton compost se convertisse en couleur blanche. Et
tout ceci a été arrêté par les dieux célestes occidentaux et aquatiques
méridionaux. Sur ce passage Trevisan dit qu'il faut faire feu humide et
vaporant, mais je dis que feu lent ne peut être sans humidité, et quand j'ai
ajouté le tout ainsi qu'il appartient, j'ai fermé la chambre très vivement où
sont couchés les mariés et ne faut plus que prendre garde que les susdits
serviteurs manquent à leur devoir et les laissez en repos jusques à quarante
jours et au bout je regardai comment se portait mon roi, et le regardant le
trouvai mort et dénaturé et n'avoit plus forme d'homme et était tant apte et
dispos à l'augmentation de son genre qu'il se convertit tout en sperme, et
aussi il s'appelle entre les Philosophes agent et outre en termes philosophaux
il est dit qu'en ces premiers quarante jours il s'humecte et se dérompt et
s'unit. Voilà quant à la première opération de mes matières.
CHAPITRE II
DE LA SUBLIMATION ET SES EFFETS
Maintenant nous parlerons de la sublimation et distillation philosophiques.
Sublimation philosophique s'entend de faire monter la matière pesante et fixe
qui demeure au centre de ladite matière en haut en cuisant car ladite matière
fait engendrer une pellicule qui environne ladite matière qui est nommée ciel
et vaisseau des philosophes: et ainsi sublimer n'est autre chose que de faire
dilater la matière corporelle par tout le volatil. Exemple mettez un vaisseau
plein d'eau sur le feu puis prenez une poignée de sel et la mettez dedans ;
ledit sel soudain tombera au fond puis se liquéfiera et s'épandra par toute
ladite eau, et non pas faire comme les ignorants qui entendent leur vaisseau
dans lequel est la matière, et consomment leurs biens et leur personne et le
temps à vouloir faire l'or et l'argent vif commun spirituels par choses
corrosives et par feu violent et le faire monter du fond d'iceluy vaisseau au
haut, disant que c'est la vraie sublimation et subtiliation des philosophes, et
demeurant dans cette obstination n'ont jamais de repos ni contentement d'esprit
(qui est un grand jugement de Dieu).
Distillation selon les Philosophes se fait en cette manière: vous avez
entendu ce que c'est que sublimer ; et distiller n'est que faire tomber en bas
ce qui est monté au ciel comme il est dit, et notez que ce n'est qu'une même
continuation de régime sans ouvrage manuel ; mais entendez que combien qu'il
n'y ait qu'un régime toutefois en iceluy seul tous les degrés du feu sont
compris, pour ce qu'il y a feu de sublimation, feu de putréfaction, feu de distillation
et feu de calcination qui se font tous en un seul lieu sans rien bouger: car il
est dit, un fourneau un vaisseau un régime et une matière. Mais prenez exemple
à l'homme qui n'a qu'un régime et a plusieurs qualités comme boire, manger,
dormir, chauffer, toutefois s'il n'est dit qu'un régime ainsi est-il de notre
magistère depuis le commencement jusques à la fin, mais il y a divers degrés
car ainsi que la matière se mène d'une nature en une autre sans rien changer
comme j'ai dit, car distiller & sublimer n'est qu'une même opération et un
seul régime parce que distiller est de faire choir en bas ce qui est monté, qui
sont des pluies desquelles les Philosophes ont tant parlé qui est selon eux le
temps d'hiver en tout cela se fait de soi-même et notez ce mot à ne pas
entendre comme les ignorants qui distillent l'or et l'argent vif commun par
l'alambic commun et autres divers vaisseaux étranges avec jus d'herbes, qui
avec eau de vie qui d'une sorte qui d'une autre et par tant d'autres subtilités
que qui les voudrait raconter, un volume n'y suffirait pas, et s'aident des
mots et termes des sages et disent qu'ils ont assubtilié de l'or et mis dans
des eaux cordiales, lui baillent ce nom d'or potable. Je laisse à considérer la
différence qu'il y a entre l'un et l'autre, à tout le moins s'ils lui
ajoutaient le titre qui lui appartient d'or potable sophistique je me
contenterais, et davantage ils s'appellent philosophes et ne le sont point,
mais souffleurs et trompeurs et combien que leur or potable soit appliqué au
corps humain ne lui fait aucun profit, j'entends quant à l'or simplement,
combien que les médecins disent qu'il ait grande opération et donne grand
allègement aux maladies, tout cela est entièrement faux car ils le rendent par
le bas tel qu'ils l'ont pris et l'ay voulu prouver devant les médecins et en ai
trouvé la vérité.
CHAPITRE III
DE LA DISSOLUTION ET PUTRÉFACTION
S'ensuit la dissolution et putréfaction. J'ai dit et donné à entendre ce que
c'est que de sublimer et distiller. C'est ce que dit Hermès, le haut est de la
nature du bas et le bas de la nature du haut car ce qui est monté en haut est
retourné en bas d'où il était sorti et se sont quasi faits une seule chose; car
il y a encore quelque résistance entre les matières et pour ce les éléments ne
se peuvent embrasser et joindre ensemble si premièrement l'accord n'est fait
entre icelle matière, et voici le moyen, savoir la dissolution laquelle est
appropriée en ce passage des Philosophes parce que dissoudre veut autant dire
qu'annihiler la résistance et accroître la diminution et ainsi la diminution
philosophique sert à unir ensemble les deux contraires, savoir amoindrir le
fort, et fortifier le faible, puis en faire une union inséparable et étant
ainsi unis viennent à se mortifier tous deux, et voyez comment l'agent mue sa
forme entièrement et le patient se prend et en cette usurpation de l'un et de
l'autre l'agent prend la crudité et frigidité du patient, et le patient tempère
la véhémence, acuité adustive et grossitude de l'agent, prenant la nature l'un
de l'autre tant que l'un est l'autre et l'autre l'autre, et en cette révolution
et conjonction des matières ils perdent entièrement leurs premières formes
métalliques, et durant cette opération les Philosophes l'ont appelée vraie
putréfaction philosophique, et durant cette putréfaction apparaît une couleur
noire qui est le signe d'icelle, car toutes les susdites opérations sont
jusques ici occultes et invisibles, si qu'elles ont perdu leurs premières
qualités et formes et en ont acquis une autre à laquelle n'y a chose au monde à
qui l'on la puisse comparer, et cette putréfaction dure quarante jours auquel
temps il te faut faire un feu qui digère la matière que le Trévisan appelle feu
digérant, et non point faire comme les ignorants qui font des amalgames
d'argent vif, d'or et d'argent aussi chacun à part soi et les mettent en fien
de cheval disant que c'est chaleur de putréfaction, et disent vrai, mais ce
n'est pas celle des Philosophes ; je confesse bien qu'elle est corrompue et
très puante et putréfiée.
CHAPITRE IV
DE LA DÉALBATION, CONGÉLATION,
FIXATION ET REVIVIFICATION
Reste maintenant à traiter de la déalbation, congélation, fixation et
revivification. J'ai ci-dessus dit abondamment que ce qui était élevé et
retombé en son centre, qui sont les pluies dessus dites, maintenant étant
écartées, les faut ramasser ensemble en une masse et la priver dorénavant petit
à petit de l'humidité qui est en elle, qui sera la dessication des Philosophes
et le commencement mais son droit nom quant à ces passages est congélation ;
ainsi donc à cette congélation faut un feu tempéré comme dit Arnaud de
Villeneuve, et qui fera autrement plaindra son labeur, parce que les
Philosophes ont appliqué leurs feux selon les lieux où ils sont requis et
partant ne faut prévariquer en rien leurs commandements, ou ne s'approcher
nullement de ce magistère, car ils ont tous dit une seule chose, et sont
véritables en toutes leurs conclusions, combien qu'ils semblent être différents
aux ignorants et ainsi en cet endroit faut continuer cette chaleur tempérée
sans rien muer ni changer ; telle chaleur tempérée ira consommant icelle
humidité, et la consommant la convertit en une qualité moyenne, savoir ni
chaude ni froide ni dure ni molle, qui est un commencement de réforme d'un
vieux corps en un corps neuf et jeune, et c'est la première présentation de la
végétation des Philosophes, car ainsi que jusqu'à présent les matières n'ont
fait que diminuer leurs premières formes matérielles, maintenant elles
commencent à en reprendre une autre, laquelle ira augmentant par le régime
jusques à sa fin ; voilà ce que c'est que la congélation. La dessication la
suit de près, pour ce que dessécher est nécessaire parce qu'ils ne se peuvent
faire l'un sans l'autre car congeler proprement n'est pas suffisant pour
dessécher cette humidité, et dessécher en cet endroit est proprement la vertu
active, laquelle continue jusqu'à la déalbation où toutes choses humides
prennent fin ; et pour mieux entendre ce passage, sachez que congeler n'est
autre chose qu'assembler plusieurs choses en une et en faire un corps, et
dessication est ce qui consomme toutes humidités et partialités qui pourraient
être en ladite matière.
Fixation s'entend en cet œuvre lui bailler une forme invisible laquelle
forme s'acquiert par le moyen de la congélation et dessication, car cependant
qu'ils perdent cette forme métallique, ils en acquièrent une autre plus que
parfaite, et c'est le degré que dit le Trévisan que nous menons notre œuvre un
degré plus que nature ne fait la sienne, car nature ne besogne que simplement
en toutes ses œuvres, aussi n’acquièrent-ils que simples formes, et ne peuvent
donner ni aider d'aucune chose: car ils n'ont que ce qui leur faut simplement
pour eux seulement, et la nôtre par ce degré acquiert de plus leur aide et les
parfait quelque haussement ou examen que l'on leur puisse faire, car elle est
plus que parfaite ; et de cette surabondance qu'elle a acquise, en distribue en
général à toute créature, comme au corps humain et autres animaux, et cette
façon dure jusqu'à la rougeur très haute, et selon que l'on connaîtra la
possibilité de la matière fais lui augmenter le feu, mais insensiblement ; note
tout ce que j'ai dit et allégué, ce n'est que la résurrection du roi: car la
mort d'iceluy finit quand la congélation commence, et quand elle commence il
commence à ressusciter, laquelle ressuscitation dure jusqu'à la fin, et aussi
nous ne demandons que la première mort et la dernière vie, et combien que
toutes ces paroles soient dites et alléguées, toutefois on se passerait bien de
les écrire ; mais néanmoins il les faut savoir car elles sont nécessaires aux
disciples et inquisiteurs de notre science, et si on ne les savait on
besognerait comme un aveugle, et si ne saurait-on si on ferait bien ou mal,
pour ce je ne les ai écrites que par doctrine et clarification pour la méthode
du régime et les qualités du degré en degré ainsi que la matière se mue, ce que
l'on ne pourrait savoir autrement: et sachez que tout cela se fait de soi-même
sans y toucher des mains ; et les ignorants voulant faire plus que les sages
Philosophes par voies erronées et étranges, font circuler l'argent vif amalgamé
avec l'or ou l'argent en un vaisseau qui a deux bras qui est appelé vaisseau de
circulation ou l'homme armé et font circuler là-dedans le pauvre dieu Mercure
tant de fois que l'on ne peut savoir le nombre, et m'étonne qu'étant ainsi
léger et volage il n'en devienne fol et hors de sens ; en outre veulent ôter à
la lune ce que nature lui a donné, savoir son humidité naturelle par leur artifice
sophistique, là où j'ai connu certainement leur vraie folie.
O pauvres gens, ne
savez-vous pas que l'on ne peut ôter ce que nature a donné par quelque moyen
artificiel et sophistique que vous puissiez faire, et y mettriez vous tant de
chaux vive que dix hommes en pourraient faire, et tant de cinabre que vous
pourriez trouver, car il n'y a autre matière que la nôtre laquelle se fait par
le moyen de notre manière et régime comme dit Pythagoras en la Tourbe: "
or avec l'aide de notre Dieu, nous sommes arrivés au port de salut et pouvons
dire comme le bon marinier que nous avons échappé à de grands périls, d'autant
que tout le danger est dans la dissolution des corps ; étant donc parvenus
jusqu'au blanc nous sommes échappés, combien toutefois qu'il faut avoir égard
jusques à la fin car nous avons encore à faire sortir le citrin, mais il se
fait de lui même continuant le feu de calcination, jusqu'à ce que l'extraction
en soit faite ; lisez les livres des Philosophes, et vous trouverez dedans
qu'il ne faut que cuire en général, et venir premièrement à la destruction des
corps, à savoir les faire spirituels, qui est leur première matière et aussi
l'entrée de parvenir à notre pierre qui est le plus grand secret de notre
magistère, non sans cause donc ils l'ont ainsi commandé, l'ayant ainsi fait,
nous avons sujet de nous réjouir en Dieu, et si vous avez quelque peu de
jugement vous connaîtrez que j'aurai tout découvert leurs palliations et
occultations et trouverez en mon style tant familier que si j'avais un fils et voulusse
lui enseigner par livres je ne pourrais lui écrire plus familièrement, car tout
y est aisé à faire et n'y a qu'un petit labeur d'esprit sans Opération
manuelle, et vous avertis qu'il n'y a si grand Seigneur, s'il le scavoit, que
lui même ne prit la peine de le faire, et tant est aisée et divine, et ne
pensez pas ni n'imaginez que ce soit ouvrage de charretiers et de forgerons,
comme pensent les ignorants qui se tuent jour et nuit la cervelle à vouloir
séparer les éléments de toutes les drogues dont ils se peuvent aviser et
consommant autant de bois et de charbon qu'il en faudrait pour faire la cuisine
d'un roi, et après toutes ces consommations, ne tiennent que destruction de
bien et de corps, et en cette divine œuvre y a tant peu de dépense tout le
cours de son temps que j'ai honte de le dire: car comme dit Geber, on y
parvient à vil prix ".
Donc, pour continuer notre matière, il faut savoir qu'à la dissolution des
corps il y est parlé d'une sublimation pour faire monter de terre aux cieux,
c'est de faire le fixe volatil. Maintenant je veux parler d'une autre qui est
la deuxième. La première était corporelle, et cette-ci est en vertu teinture et
fixative, laquelle ne se peut avoir sans la première, ainsi toutes deux font
l'excellente perfection de toute l'œuvre, car sans la première la dernière ne
peut venir, et c'est pourquoi il est plus parlé de la première que de la
seconde ; ainsi par ci-devant les vertus permanentes et immobiles, à savoir la
teinture et la vertu fixative ont toujours été enfermées et submergées des'
humidités vaporeuses et mutations mobiles, et grossitudes des matières qu'on ne
les pouvait voir, tant étaient occultées au profond d'icelles, combien que les
présages de leur avènement fussent grand, néanmoins quelque belle apparence qu'il
y eust, étaient en danger de périr, mais l'aide de Dieu avec l'industrie du
sage artiste les a fait apparaître avec toutes les propriétés, comme dit Hermès
sur ce passage: qui saura conduire le cerf à sa sœur odoriférante avec leurs
bonnes odeurs et il a tout l'art, qui est aussi sur ce passage de la fontaine
des amoureux, que c'est bien tour de laboureur, et ont été chassées toutes
vapeurs susdites aux lieux dont elles étaient auparavant sorties sans faire
aucun dommage ni offense ; car ainsi que l'on a tiré la substance spermatique
du profond de la nature des matières grosses, corrompues exactement et par
grand engin, aussi faut-il que l'on tire semblablement par icelle voie du
profond de la nature spermatique la teinture de vertu fixative, ayant donc
chassé toutes vapeurs et qualités non permanentes, la matière est demeurée
toute blanche, d'une blancheur qui excède toutes blancheurs comme dit Arisleus
en la Tourbe: la clé de l'œuvre est l'art de blanchir, entendez une blancheur
étincelante plus que ne fait la neige quand le soleil rayonne dessus, laquelle
est ainsi appelée par les Philosophes fleur du soleil, à laquelle blancheur
faut continuer le feu sec, à savoir feu de calcination selon sa nature, et en
continuant on la lui fera perdre et évanouir, et au lieu d'elle viendra une
couleur orée laquelle porte en ses entrailles celle qui est désirée d'un chacun
sage qui est le rouge que Marie la Prophétesse dit semblable au pavot
champêtre, et outre sera rouge comme un beau vin vermeil, jetant rayons en sa
nature comme fait le soleil en la sienne ; lors faut faire feu tel que l'on
voudra car il soutient et résiste comme toute violence que l'on lui voudrait
faire car il est plus que parfait et ne lui peut-on donner de titre, car s'il
n'était plus que parfait il ne pourrait parfaire les imparfaits et celui à qui
Dieu fait la grâce d'arriver à telle perfection passe en excellence empereur,
roi, et tout autre, et si quelqu'autre que lui le sait il n'est qu'égal à lui.
CHAPITRE V
DE LA MULTIPLICATION
Et pour venir à l'accomplissement de mon livre, et aussi pour ne donner
cause aux inquisiteurs de mon livre contre moi, disant que j'aurais laissé cet
œuvre imparfait, je n'ai voulu manquer à rien de ce qui y doit être mis pour
parvenir à la parfaite jouissance d'icelle œuvre divine, pourquoi je traiterai
de la multiplication pour laquelle bien et dûment faire, faut prendre un grain
dudit élixir et dix de mercure pur et munde sans nulle offense de feu, et mêler
tout ensemble, puis mettre tout dans un vaisseau de verre bien approprié sur un
feu semblable à celui de la sublimation jusqu'à ce que l'imbibition soit bien
desséchée et diminuée d'un degré moindre de sa première couleur et vertu, puis
remettrez en iceluy vaisseau de la matière même dix mil dudit mercure et ferez
le feu comme celui de la congélation jusqu'à ce que la matière soit congelée
pour faire celui de fixation, et quand le tout sera bien desséché il sera
diminué de deux degrés comme dessus, par la troisième imbibition l'on doit
prendre encore 200 000 dudit mercure sans autre chose et imbiber très bien le
tout, faire cuire tant qu'il soit desséché, et sera diminué de trois degrés,
car tant plus il y a d'humidité et tant plus il faut de temps à la dessécher,
après, pour la quatrième et dernière imbibition, faut imbiber encore de dix
milliers, et cuire comme dessus est dit, et sera cette médecine abaissée de sa
véhémente puissance et vertu au titre propre à convertir tous métaux en la
perfection totale que nature fait en or et en argent, telle qu'elle est ou
blanche ou rouge et la transmutation très soudaine se fait en projection
laquelle se jette en fusion sur le corps le plus prochain de sa complexion et
nature, et notez qu'un grain en ces quatre imbibitions engendrera douze
millions cent mille un cent, mais pour celle propre au corps humain elle ne
doit estre nullement subtilisée de sa force et vertu et on ne doit user que de
la première dite Elixir.
CHAPITRE VI
RÉCAPITULATION DE CE QUE DESSUS
J'ai parlé ci-dessus de l'extraction des matières spermatiques et de toute
la conduite par le même ordre jusques à l'extraction de la teinture parfaite et
de la vertu fixative, et le vrai moyen de les extraire tant les uns que les
autres et de la multiplication de projection sans converture ni occultation
aucune.
En bref, pour ce que où il y a abondance de paroles, ne peut estre qu'il n'y
ait confusion, et Dieu veut que celui à qui je dédie ce petit travail soit
secret, craignant Dieu et l'aimant, à celle fin qu'il lui fasse la grâce de
ramener tout à son honneur et à sa gloire, après en avoir la jouissance et n'en
estre point ingrat envers le prochain ; et qu'il la tienne aussi chère en son
cœur qu'il fait sa prunelle en son œil.
Damascène dit quand il la voulait commencer, il regarda par toute sa chambre
s'il n'y avait point de mouches, voulant par là signifier que l'on ne la
pourrait tenir trop secrète par le danger qui en peur advenir. C'est la fin.
Le Seigneur soit béni éternellement amen.
TRAITÉ DU
RÉGIME
Figures:
Un homme qui bêche et creuse dans un rocher.
Oiseaux. Corbeaux.
Main qui montre.
Dragon. Homme qui tue le dragon.
Satyre qui tue le bêcheur par derrière.
Ici serpents et animaux.
En cette première figure appert comme l'artiste cave si bas au profond d'un
roc, tant qu'il ait trouvé la matière propre et bonne, et après il dispose
sagement ses vertus génératrices et augmentatives, ce qui consiste du tout à la
composition qui est nommée des Philosophes saint mariage, lequel concevra un
fils de telle nature plus céleste que terrestre, et sera nommé unique entre les
Dieux.
Figures
Un homme en une chaise.
Un serpent.
Trois personnes figurées.
Deux autres personnes, l'une tenant un soleil
et l'autre un enfant qu'elle étreint.
Plusieurs sortes d'animaux.
Un fourneau fermé par-dessus.
Une marmite à trois pieds.
Un vase recouvert de couvercle.
Une petite cucurbite.
En la seconde figure ci-dessus écrite sont comprises toutes les ustenciles
nécessaires pour le commencement du magistère et comment l'on doit procéder à
la conjonction des deux spermes, et le moyen de les extraire selon nature,
laquelle se fait par un même moyen et en même temps et du même feu.
En cet endroit, les sages l'ont appelée hermaphrodite, parce qu'elle a en
soy les deux vertus génératives, et s'entraiment de telle sorte qu'elles sont
inséparables, qui est la vraie homogénéation physique, à tout le moins le
commencement d'icelle, laquelle se fait petit à petit et patience y est
nécessairement requise.
Figures:
Un lion volant et verd.
Une figure d'homme cendreuse.
Un homme verd à reculons monté sur un animal
à quatre pieds.
Un homme sauvage nud.
Un homme noir tenant en une main un panier et
en l'autre une hache ou broche.
Une figure verte s'envolant en l'air.
Un dragon.
Une cucurbite, petite flamme dessus, flamme dessous.
Un grand fourneau fermé partout.
En cette troisième figure appert comment la conjonction manuelle est faite
et que nature commence à prendre possession pour opérer continuellement, témoin
toutes les influences célestes, lesquelles en sont grandement émues, et chacune
en son temps et lieu.
Et premièrement Saturne commence, et pour connaître la vérité, s'il
travaille dûment accompagné de Nature, ce sera quand on verra la blancheur de
la matière se perdre, et qu'elle deviendra comme de couleur cendreuse, car
davantage, c'est le vrai signe que le corps qui est inhumé dans son ventre est
prochain de la mort, et que les subtiliations et digestions se vont faisant
petit à petit, et pour le dire en un mot, ce n'est autre chose que la réduction
en sa première matière de quoi les sages ont rempli leurs livres.
Figures
Deux hommes qui tiennent un animal à quatre pieds.
Animaux.
Femme qui tient un balai en ses mains, le passant
sur la tour représentant le globe.
Une grande figure d'homme démontrant par signe
et par quelque chose à Jupiter qu'il s'en va.
Jupiter fuyant la femme.
Une petite figure d'homme tenant en sa main une équerre.
Fourneau fermé, avec un trou au haut de son couvercle.
En cette quatrième figure appert comment Saturne s'acquitte de son devoir en
la digestion et subtiliation du corps qui est inhumé et englouti par la matière
crue et liquide qui est représentée par la femme laquelle pousse cette noirceur
qui se voit en elle qui démontre la peine qu'elle endure par la discorde des
éléments qui sont enfermés au profond de son radical et terrestre pour avoir
mangé son fils qui est de dure digestion et aussi pour montrer que Nature n'est
point oisive, qui est le vrai signe de l'opération occulte et mortification du
corps.
Et tant plus la noirceur croistra tant plus on connaîtra la vérité de sa
mort qui est l'accomplissement de la joie de l'artiste, pour ce que c'est
l'entrée pour venir à une félicité glorieuse et quand on le voit si noir c'est
entièrement le signe qu'il est mort.
Et pour ce Jupiter se doit venir travailler après Saturne, il demande à
l'artiste comme il se doit gouverner.
La cinquième figure
En cette cinquième figure appert comme après que Saturne a détruit ce corps
par l'aide de Nature, sans lequel on ne peut en reformer un autre plus
glorieux, ayant puissance par-dessus tous autres dieux de sa nature, et
abondant en toute abondance infinie de bénédictions divines tant en richesses
qu'autres choses pour passer cette vie et pour s'employer aux oeuvres de
miséricorde et aussi en vertus désirables pour la santé du corps humain.
Et la cause de cette vertu et puissance surnaturelle ne procède que d'une
grâce qu'il a acquise plus que nature n'a pu faire, parce qu'elle besogne de
simple matière elle ne peut faire que simple forme. Et nous, nous prenons
double matière et double feu qui est la cause que nous faisons en 9 mois ce que
nature ne peut faire en 500ans. C'est pourquoi tous les célestins mènent si
grande joie de sa nativité, et en sont toutes les parties célestes émues,
lumineuses et resplendissantes comme le soleil.
Il est bien vray qu'il est encor jeune et tendre et ne peut encor montrer sa
vertu et puissance jusqu'à ce qu'il soit venu en âge d'homme.
Maintenant Jupiter suscite en la présence de Saturne et devant que de s'en
aller faut qu'il fauche le premier les fleurs pour réjouir ce jeune roi pour sa
bienvenue, et incontinent qu'il aura fauché, il s'évanouira, et Jupiter les
amassera et sèmera tout à l'entour de l'enfant et le nettoiera tant qu'il soit
net. C'est ce corps neuf duquel les Sages ont parlé quand ils ont dit qu'il
naistrait un roi d'une pucelle, engendré et conçu des quatre éléments, lequel
se nourrirait de la chair de sa mère.
Donc Jupiter commence à balayer ce ciel noir peu à peu jusqu'à ce qu'il
colore toute la superficie du globe qui représente la femme avec les balais
qu'elle a en sa main.
La sixième figure
Icy est représentée l'obscure noirceur qui rentre au centre d'où elle estoit
partie. Icy un jeune enfant blanc sur le dos de Saturne. Icy est représentée la
figure de Jupiter ayant verges en main qui chasse Saturne. Icy un honune qui
tient un livre en main pour réformer. Icy un homme sortant de la mer. Icy la
mer où il y a un homme couronné qui tue un homme noir qu'il pousse au fond pour
le noyer. Icy il y a un homme ayant des ailes à la tête et aux bras paroissant
en la mer. Il y a de plus aux coins de la figure les quatre vents.
En cette sixième figure appert qu'il y a accord entre les corps célestes et
les éléments, lesquels étoient fort contraires. Et durant cette contrariété
nature ne pouvoit montrer son opération, ce qui m'étonnoit fort. Toutefois,
sachant que la patience est une des principales qualités requises en ce
magistère, je me suis aidé d'icelle et j'ay attendu jusques à tant que j'aie vu
quelque figure ou apparence louable, ce que par la grâce de Dieu j'ay vu: le
ciel qui étoit fort clair à son commencement puis obscur et ténébreux, et puis
petit s'envoler qui est le vray signe de la mort de notre corps et que c'étoit
par l'opération de Saturne.
Et après ressuscite pareillement comme il appert par la figure de la femme
et de l'enfant. La femme croyait avoir englouty et dévoré le roy puissant en
corps et âme, mais elle a été trompée car elle n'a pu détruire que la forme
matérielle et grossière, et n'a pu toucher à l'âme ni à la vertu générative.
Et cette vertu générative qui est en lui étant mussée dedans les parties
extrinsèques, la dite forme travaille toujours subtilement si bien que la
nature féminine ne s'en est point aperçue jusques à temps qu'elle ait acquis
force.
A l'œil il est manifeste comme il appert par la figure, car il a tel
avantage sur elle qu'il la va consumant en corps et en âme, et en tout ce qui
peut être en elle sans mourir il la convertira du tout en sa nature et ne sera
qu'une seule substance et unique.
Icy est le passage que les poètes figurent quand ils allèguent la pluie d'or
de Jupiter, ils disent vray car il est le commencement de la vertu du pur que
nous représente le jeune enfant, et outre on voit comment Jupiter chasse sa
forme avec toutes les nuées crasseuses et noires et les fait tomber au centre
d'où elles étoient sorties et durant sa charge il a si bien fait son devoir
qu'il a purifié toutes les contrariétés, ce qui a été la cause que Nature nous
a extrait toutes ces apparences louables comme nous voyons en notre matière.
Icy est figuré le ciel étoilé.
Icy Mercure avec ses ailes tenant son caducée.
Icy une figure d'un homme environné à genoux.
Icy il est élevé glorieux, étant figurés autour de luy.
Dix Rois ; ce sont dix poids.
Icy une verge où il y a 13 faces du soleil.
Icy est la fin finale de la multiplication, très aisée à entendre soit par
figures ; qui aura bon sens et bon entendement et aussi qui sera élu facilement
entendra ma devise car il n'y a rien de superflu, le poids, le régime y est en
toute fidélité et sans envie et outre il n'y a figure qui n'ait au-dessus ou
au-dessous d'icelle un nom de Dieu.
Je crois que cette figure avoit été transposée au manuscrit à moi prêté.
La septième figure
En cette septième figure apparoissent les corbeaux qui volent par l'air
comme dit le comte Trévisan, qui font leur nid dans un creux de chêne tranché
par le milieu, et en même temps Jupiter sème des fleurs à l'entour du roi qui
commence à se fortifier et à croître en vertu. Car le dragon qui l'avoit
englouty va consommant ainsi qu'il va croissant, et ne viendra point à la
croissance parfaite qu'il ne l'ait du tout consommé et du tout réduit en sa
propre chair et substance qui sera la fin de l'œuvre.
Et ainsi quand Jupiter aura achevé de semer toutes les fleurs les corbeaux
tomberont en l'abîme où est tombé Saturne et prépareront le lieu net ou peu
s'en faudra.
Et croyez que tout ce qui se voit ainsy se fait occultement dedans la tour ;
mais qui veut savoir l'art, il faut qu'il ait tout cela en son cerveau, à
savoir tout ce qui se fait occultement tant qu'il soit manifesté à l'Artiste
comme s'il le voyoit de ses yeux corporels.
Et quant à ces dragons qu'on voit qui se mangent l'un l'autre, ce n'est
autre chose que la composition du magistère: car au commencement l'un mange
l'autre, et après que celui qui a été mangé s'éveille, il mange celui qui
l'avoit mangé et à la fin toutes les contrariétés viennent à se pacifier de
telle sorte que tout vient à se convertir en une seule liqueur qui n'est plus
sujette à aucune chose créée sinon à un seul Dieu.
La huitième figure
En cette 8e figure est la fin de toutes dissolutions,
distillations, conjonctions, réductions et sublimations, comme l'on voit en la
figure que toutes vapeurs qui sont sorties de ce profond radical du globe sont
retombées et retournées ; car elles en étaient sorties pour testifier que le
corps étoit mort, et ainsi toutes les contrariétés et débats qui étoient entre
les corps célestes et aquatiques qui ne demandaient que discordes et débats se
sont pacifiés l'un avec l’autre, si bien que l'on ne connoît qu'une seule
substance un goust et une vertu incomparable faisant chose miraculeuse.
Ce sont les opérations merveilleuses de Jupiter lequel étant à la fin de son
temps sera contre Saturne, car c'est lui qui les chasse comme il se voit
maintenant venir des sublimations, à savoir ainsi que l'on voit le Roi
croistre, c'est la vraie sublimation de laquelle ont parlé les sages, car
sublimer n'est pas la sublimation des sophistes qui veulent sublimer le mercure
par 7 fois comme ils disent, mais la sublimation des sages est d'exalter ce qui
est vil et d'en faire chose grande et superlative: et pour donner mieux à
entendre la vraie sublimation, c'est de faire monter au ciel la terre fixe qui
se tient au fond du vaisseau et qu'elle n'excède pas de plus que le ciel à
scavoir qu'elle ne l'outrepasse nullement.
La neuvième figure
En cette neuvième figure appert comme la paix est faite entre le ciel et la
terre et que la tranquillité et union est par tout l'univers du globe dont est impossible
de les désunir et par cette union sont produites de grandes choses, ce qui ne
se pourroit autrement et la cause de ceci a été que Saturne et Jupiter se sont
acquittés de leur charge fidèlement.
Aussi quand tous les célestins ont tenu conseil pour envoyer quelqu'un pour
gouverner cette machine ronde, ils n'en ont point trouvé de plus capables que
ces deux et ayant tout achevé leur tâche, ils se sont retirés tous deux és bas
lieux l'un après l'autre, chacun en son temps, car il ne faut pas qu'ils usurpent
l'un sur l'autre, ce seroit leur confusion ; mais les influences des corps
célestes les ont toujours assistés, lesquelles ont empêché que chacun se tint
ailleurs qu'en ses limites et davantage ils ont aidé à tuer le Roy et aussi à
le ressusciter et puis ils se sont retirés.
Maintenant la lune avec le reste des célestins viennent à reconnaître le Roy
et lui faire hommage et lui présenter leurs services en toute humilité et gaîté
de coeur avec chants mélodieux et grande reconnaissance de la venue d'iceluy.
Quant au serpent que l'on voit, lequel peu s'en faut qu'il ne mange l'autre,
il s'appelle le serpent froid, et le mort se nomme le serpent chaud qui ne
brûle point qui est la composition louable où gît le contenu de la grande
oeuvre.
Et tout ce qui est figuré en ce livre gît au profond de ses entrailles, et
là se font occultement toutes les opérations différentes qui se voient en ce
livre.
La dixième figure
En cette dixième figure se manifeste le fruit de tout le soin que l'on
prétend avoir de cette divine œuvre tant pour la vie présente et transitoire
que pour la santé du corps que l'on voit en ses deux mains ; en sa droite il
tient une boîte pour la médecine, en la senestre une pomme d'or, c'est la
raison pour laquelle il est tant chéri.
Maintenant sa mère vient comme une avant-courrière pour lui rendre la place
nette et sans macule, et à celle fin que sa vertu ne soit aucunement maculée
d'aucune corruption quand elle sera employée et que rien ne l'empêche de faire
son effet.
Toutefois il n'a pas encore consommé du tout le dragon, mais on ne peut plus
faillir, il ne faut que continuer le même régime parce que l'on failliroit
plutôt par plus que par moins.
Ce dragon que l'on voit représente toute l'œuvre ; en luy gist le tout et
toutes ces opérations que l'on voit distinctes se font au profond radical les
unes après les autres, c'est-à-dire de ses entrailles en leur temps fixé pouvu
que par un seul régime doux et amiable qui fait que toutes les influences se
montrent en opérant dessus la superficie du globe qui sert de guide et de
contentement à l'artiste encor que le tout soit écrit un peu métaphoriquement,
toutefois il est aisé à entendre à qui aura bon sens. Et si l'on fait un feu
qui soit contraire, toutes ces influences se montreront en un coup qui seroit
la perdition de tout et pour ce, qu'on se garde de feu violent. Et notez
combien qu'elle soit écrite par forme de figures, je vous avertis que ce sont
des influences des corps célestes, lesquelles on voit parce qu'ils se
manifestent par mois et par semaines qui sont les jours et temps des sages.
La onzième figure
En cette 11e figure, la Reine voudroit gouverner le royaume après
qu'elle l'a nettoyé et purgé de toute souillure et demande au roy qu'il la
laisse gouverner, et le roy qui est en âge de gouverner son royaume ne veut
point de compagnon et luy dit en devisant avec elle: tenez votre patrimoine et
n'entreprenez rien sur le mien, je me sens capable de bien gouverner ma
monarchie et faire chose qui excède votre puissance dont mes vassaux et tous mes
sujets se diront bienheureux de ma venue et aussi je veux leur faire ce que
vous ne leur sauriez faire ; et alors la Reine s'est tenue à ce qui luy
appartenoit.
Et le Roy passe plus outre jusques aux confins de son empire, portant en sa
main son trophée de victoire, et là il prendra sa robe rouge et indicalle et sa
couronne de monarque et chacun de sa nature viendra luy rendre obéissance.
Or donc la Reine ne passe pas plus outre et se tient à ce qui est sien, et
use de quelques libéralités selon sa puissance. Toutefois, ce n'étaient au
regard de celles du roy, et quelque chose qu'elle puisse faire, elle sera toute
sa vie sujette au roy, et pour connaître la vérité de sa sujétion, elle ne peut
porter en ses vêtements autre couleur que le blanc si le Roy ne luy donne. Et
ce que l'on voit en la figure qui tombe en l'abîme n'est que le reste des
influences des corps célestes qui ont fait leur cours tant qu'il ne demeure
rien de volatil. Mais par la grâce de Dieu tout est ferme et permanent.
C'est en ce dragon que tout le magistère est fait et venu en telle puissance
et vertu ardente qu'elle détruira et précipitera comme le feu a grande
puissance sur ceux qui sont de sa nature et aussi sur le corps humain comme
l'on verra ci-après.
La douzième figure
En cette 12e figure appert comme nature a fait un chef-d'œuvre à savoir une
opération extraordinaire par le moyen de l'aide de l'artiste, ce qu'elle n'eût
jamais fait ni pu faire d'elle-même, mais luy ayant aidé par l'art elle est
venue à ce but, car il a acquis un degré qui excède la puissance de nature et
s'est extrait de la substance et qualité des éléments.
Et pour cette cause les éléments se sont émus et troublés et étant encor sur
lesdites limites d'iceux, l'ont voulu guerroyer pour l'empêcher de ne se
séparer d'iceux, ce qu'ils n'ont que faire parce que leur puissance ne s'étend
pas jusque-là car il a rompu le lien de nature, tant qu'il excède en puissance
et vertus toutes espèces élémentaires, et est exempt de la corruption
naturelle, car il ne change point, et toutes choses changent ; car à dire la
vérité, il est simple en matière mais abondant en vertu, pour ce qu'il a été
extrait de ces 4 qualités et est tiré du pur du feu ; mais il ne baille point
qu'à ceux qui sont de sa nature, car à ceux-là certes il les précipite tous par
l'échange de leur nature en une autre plus excellente que la première, ce qu'il
ne pourrait faire s'il n'avait acquis ce degré de plus que lesdits sages ont eu
intention et n'ont tendu à autre but et me laisse dire tous ces rêveurs et sophistes
qui mettent en œuvre d'autre blanc et d'autre rouge.
La treizième figure
En cette 13e figure appert comme il montre à distribuer le trésor
qu'il a acquis par ce degré de plus, ce que nature n'a pas fait et ne pouvait
faire d'elle-même qui est une œuvre divine et plus miraculeuse qu'autrement, et
elle départit fidèlement selon la nécessité qui se présente, et ne refuse
personne, tant pour la santé du corps humain et pour la nourriture de cette vie
caduque et transitoire que la résurrection des corps métalliques imparfaits.
O que les sages l'ont bien nommé du nom qui luy appartient, à savoir
d'origine céleste, car en vertu elle surpasse toutes les autres médecines que
les hommes peuvent faire et inventer tant soient-ils subtils, et rend l'homme
qui la possède bienheureux, grand, prospère, notable, audacieux, robuste,
magnanime, et outre le change du tout de. sa nature vicieuse en une autre qui
n'aspire qu'à toute vertu, bénignité et mansuétude, et c'est la cause qu'elle
est tant désirée des sages.
Beaucoup d'autres la désirent comme font aucuns pour se faire riches en ce
monde tout rempli de vanité, d'autres pour vivre lubriquement et charnellement
et d'autres pour régner vicieusement en commettant toutes méchancetés contre
Dieu lequel ne permettra à telles gens qu'ils viennent à la connaissance et
jouissance d'une telle oeuvre.
La quatorzième figure
En cette quatorzième figure, on connoist la vertu et efficace de cette
matière précieuse, et la diligence de l'artiste de s'acquitter de son devoir, à
scavoir de la distribuer en charité et fraternité ainsi que notre bon Dieu le
commande premièrement aux chrétiens régénérés et lesquels sont pauvres des
biens de ce monde, et toutefois très riches des biens de Dieu par sa sainte
grâce et miséricorde, et n'ayant aucune aide ni support en ce bas univers des
nécessités requises à ce corps humain et quant aux infirmités et maladies, on
en peut aider à toutes gens en général, aux pauvres pour l'honneur de Dieu et
aux riches pour l'argent de peur d'être découvert, car celuy qui a ce don de
Dieu n'a point de plus grand ennemi que les grands de la terre, parce qu'ils en
sont envieux, et ne veulent point plus grands qu'eux de peur que l'on ne vienne
à les dépouiller et les priver de leurs biens et grandeurs, et c'est la raison
pourquoi les sages se tiennent secrets et ne se découvrent point aux hommes
dénués de toute charité, qui n'ont aucune crainte de Dieu, et moins la
pourront-ils avoir de pauvres.
Je ne parle ici que de la vie corporelle et aussi que ladite figure se voit
là où s'étend sa vertu, scavoir sur les métaux et leur décoction, les
ressuscite et mue à leur parfaite affinité.
Louange à Dieu et à la Vierge Marie.
La quinzième figure (multiplication)
Icy commence la multiplication par figure avec la signification, et
premièrement il y a deux points à considérer ; le premier est que la plupart
des hommes ne peuvent comprendre ni croire la vertu, grandeur, ni la facilité
de cette transmutation glorieuse, qui leur engendre une défiance, laquelle
toutefois est naturelle, mais certes, combien qu'elle soit naturelle, elle est
plus miraculeuse qu’autrement, c'est que celuy qui y veut mettre la main doit
être assuré et faut qu'il croie contre espérance, et qu'il ait la science
infuse en son cerveau. De plus, si Dieu ne bénit l'artiste en son labeur, il ne
fera rien, car elle est plus divine que terrestre.
En cette quinzième figure appert comme le roy est conseillé de son esprit de
se baigner tout nud dans cette mer célestine laquelle a cette puissance de le
rajeunir et accroître en nombre, et aussi que c'est celle qui l'a conçu et
engendré, et elle le multipliera et accroistra en nombre infini, d'autant que
tant ainsi seul ne pouvait vivre longuement, et partant le conseil du bon
esprit luy est bien nécessaire et profitable, et défiance luy conseille tout le
contraire en luy disant que s'il se jette en cette mer, pour certain il mourra
sans jamais ressusciter et sera tenu de nulle valeur.
Or le roy comme expérimenté ayant écouté le conseil de l'un et de l'autre,
et considéré ce qui en est, et qu'il ne peut périr, et que s'il meurt fi
ressuscitera fort bien accompagné, et qu'il en est bien assuré, parce qu'il y a
déjà passé par le même chemin, et qu'il en est sorty puissant robuste et
glorieux, il délibère de s'y baigner sans rien craindre parce que c'est le seul
moyen et sans autre de parvenir à son augmentation infinie.
La seizième figure
En cette 16e figure appert comme le roy est disposé de se baigner
dans ladite mer étant assuré qu'il en sortira à son honneur. Il est vrai qu'il
souffrira beaucoup, mais pour cela ne laissera pas de retourner victorieux,
encor que le feu et l'eau luy définiront cette belle forme royale ; toutefois
il les vaincra et les assujettira à sa nature et substance, tant en matière
qu'en vertu, car il est assuré du chemin parce que c'est le chemin qu'il a fait
à sa première et longue décoction, et ne faut ajouter ni diminuer, soit du
poids ou du régime ; mais suivre le droit chemin naturel seulement.
La dix-septième figure
En cette 17e figure appert comme cette mer le dévore et luy fait
perdre sa forme grossière, et le réduit en pure eau semblable à elle, toutefois
elle n'a pas la puissance de toucher à sa vertu qui est secrètement en son
profond radical, laquelle travaille si subtilement qu'elle ne s'en aperçoit
aucunement et l'échauffe de sa chaleur naturelle accompagnée de l'artificielle
qui sont les douces haleines nutritives du repos continuel, car c'est le vrai
moyen de l'exempter de tout danger qui le pourroit empêcher de venir à
augmentation de nombre, et aussi il n'y en a point d'autre, quelque chose que
l'on puisse faire. Or le voyant en cette perplexité si dangereuse, toutes les
hiérarchies célestes de sa nature ont tenu conseil comme ils le pourraient
recouvrer et servir, et ayant le tout bien considéré et consulté, ont trouvé
que le plus expédient et le plus sûr serait de mander en diligence Prométhée et
Mercurius, parce que Prométhée le formera et Mercurius ira nageant par la mer
pour chercher la matière substantielle et la porter au dit Prometheus, lequel
lira, réformant petit à petit ainsi qu'il recevra la matière de Mercure.
La dix-huitième figure
En cette l8e figure appert comme le mercure va cherchant par
toute la mer pour voir s'il rencontrera quelque partie ou matière de ce corps à
cette fin de la porter aux mains du réformateur, et ainsi qu'il cherche il
trouve une certaine substance laquelle est dilatée par toutes les parties de
ladite mer, et ne peut séparer la substance corporelle du roy d'avec la
substance spirituelle de ladite mer, tant bien ils se sont accompagnés ensemble
qu'ils sont inséparables qui est la vraie homogénéation des sages dont il est
contraint d'apporter toutes les deux parties et matières au réformateur lequel
prend tout ce que Mercure luy apporte, puis commence à réformer et mêmement
connaît que c'est le vrai moyen d'opérer des deux substances et non d'une seule
qui veut parvenir à la parfaite et sainte résurrection de notre roy et
magistère, qui' montre clairement que toute espèce ayant âme vivante ne se peut
augmenter en son germe sans sperme de mâle et femelle: et ne faut point croire
ni ajouter foy à ceux qui pensent faire ce magistère de plusieurs et diverses
drogues étrangères. Car tout cela est contre Dieu et la Nature.
La dix-neuvième figure
En cette 19e figure on connoît le dommage qui procède de
différence, pour montrer que tous ceux qui n'ont point de foi en cette science
sont privés d'avoir la connaissance et jouissance d'icelle et il faut croire
contre espérance c'est à savoir quand on connaît la possibilité de la nature.
Qui penserait, ne voyant que de l'eau en cette mer de la quatrième figure de la
multiplication et 18e figure de tout le traité qu'on pût former un
corps du roy si glorieux et magnanime comme on voit entre les mains du
réformateur en cette figure, cela passe tout bon entendement.
Mais quand on connoît que nature surmonte toutes matières selon qu'elles
sont ne peuvent être qu'elles ne produisent l'espèce selon sa qualité et
propriété suivant toujours l'ordre qu'elle tient sans accident, et ainsi
l'homme étant bien instruit en cette science imitant la nature fera chose
incroyable aux ignorants et réprouvés et facile aux Sages amateurs d'icelle.
La vingtième figure
En cette figure vingtième et dernière qui est la fin, appert comme nature a
bien favorisé Prometheus à la réformation du roy lequel a été entièrement rompu
et disjoint, et ne luy est demeuré aucune chose de sa première forme, mais Dieu
qui est auteur de nature, car fi est la nature naturante, et a donné force et
pouvoir à la nature et commandement exprès de n'abandonner Prometheus, de le
conduire, instruire et même de luy prêter les mains en toutes ses facultés pour
refournir ce roy en toute perfection et affinité et le tout par le chemin même
qu'elle tient ordinairement en ses actions et en continuant est parvenu à cette
affinité parfaite de sa perfection avec une grande victoire, grand honneur et
profit: car il a engendré de sa propre vertu et substance tant il est abondant
en vertu et puissance, même étant en son tourment extrême, dix roys par sa
propre libéralité sans diminuer d'aucune chose, lesquels feront les mêmes
effets que luy.
O bonté infinie en qui abonde toute plénitude de bonté et sagesse. O
seigneur que t'a fait l'homme que tu l'as aimé jusqu'à tant que tu luy aies
ouvert le cabinet de tes secrets ; son entendement n'est pas capable de
comprendre les biens et grâces que tu luy fais, dont tout honneur et toute
gloire te soit rendue.
Ainsi soit-il
Louange à Dieu et à la Vierge sa Mère.
ANNEXES
AU SECOND DIALOGUE
Tesson, le 1er juillet 1658
Le feuillet que j'ai marqué en bas de 1 signifie la solution printanière de
la matière quand le mercure ayant attiré l'âme ou l'esprit de l'or commence à
fumer et la noirceur à nager au-dessus de l'eau mercurielle. Le feuillet 2
marque le mercure totalement teint de la noirceur qui se précipite peu à peu en
forme de nuages dans l'eau philosophique, commençant de se dessécher et réduire
en boue. Le troisième représente le dragon mangeant sa queue, c'est-à-dire le
mercure philosophal dévorant l'or philosophique qui en est la queue ou la
génération, car le mercure philosophal consommant ainsi l'or philosophique
qu'il a engendré représente assez naïvement un animal qui mange sa queue, les
anciens dépeignaient un saturne qui mangeoit des enfants pour signifier la même
chose. Le quatrième est le saturne philosophal se blanchissant et se séchant au
fond ; les anciens ont figuré la même chose par la fable de Diane amoureuse
d'Endymion, et descendue nonobstant sa chasteté en terre pour l'amour de lui, comme
lune philosophale, qui nonobstant sa pureté, habite volontiers avec la terre de
saturne. Les deux principes purifiés et mis par les Philosophes dans le vase
philosophique se mêlent et combinent par la nature et concourent à la
génération de l'élixir comme s'ensuit: la nature par sa chaleur les conjoint
fondant l'un dans l'autre par la dissolution qui cause l'élévation en une
vapeur invisible qui se coagule au sommet du vase, en gouttes cristallines que
tous les Philosophes appellent mercure et rebis, c'est-à-dire une chose créée
de deux, et cela conjoint ensemble par les degrés susdits figurés dans les
feuillets mentionnés et expliqués à la perfection de l'élixir.
Parnasse, page 35
Donnés luy au commencement petit feu, renforcéz dans le milieu et encore
plus à la fin, alors vous verrez monter l'haleine du lion enfermé, que les
aigles hument avec avidité, se fichant ainsi repus au sommet de la voûte d'où
ces oiseaux affamés redescendent l'un après l'autre, et montent tant que ce
lion déchiré vient à se pourrir et infecter la superficie de la mer, et ensuite
le fond et enfin les aigles meurent aussi et le tout se termine en un limon
noirâtre et de mauvaise odeur qui se séchant peu à peu commence a se purifier
et blanchir, ayant attiré à soy les aigles qui le dévoraient, tant qu'à la fin
il reprend ses couleurs vives et plus hautes que jamais, alors le voyant
immobile et immuable sortez-le, nourrissez-le du lait de sa mère ou de la chair
de son père pour le rendre capable tout au rebours du caméléon de communiquer
sa couleur et sa vertu à tout ce qui en approche ; au bout de 45 ou 50 jours,
la véritable noirceur se montre, et quelque temps après se fixe, se résout
véritablement et doucement dans le volatil et l'un et l'autre ensuite
condescendent conjointement à une distillation lente et posée laquelle vers la
fin, ces confections putréfiées commencent de se purifier et d'en donner des
marques par des changements de couleurs dont les nuances s'écartent de plus en
plus du noir pour arriver ensuite par le chemin de la distillation d'une
extrémité à l'autre, c'est-à-dire du noir au blanc.
Lettres de pratique, page 9e
Votre matière étant composée de deux formes, scavoir de celle du mâle et de
celle de la femelle, dès qu'elles se sentent échauffées et émues par le feu
extérieur, l'un appète d'un appétit naturel la forme de l'autre, car le sec
désire l'humide et l'humide aspire au sec s'échauffant ensemble, l'humide qui
du commencement est le plus fort opère la dissolution du fixe ou du sec qui
attirant de même l'humide, s'enfle et s'enivre de cette liqueur désirée, et
après en être largement imbu, il se l'incorpore si bien qu'il souffre sa propre
dissolution avec plaisir, cette dissolution ne se pouvant obtenir sans
évaporation des parties les plus subtiles et les plus spirituelles, elles
s'élèvent en haut par la vertu de la chaleur qui préside en cette opération, et
remontant au sommet du vase et sa solidité et sa fraîcheur, cette vapeur
invisible et délicate se congèle en des gouttes cristallines ; c'est ce que nos
écoles appellent du mot de Rebis à cause que cette vapeur et les gouttes sont
composées de deux choses différentes qui conviennent dans une même matière ; ce
mercure est proprement celui des Philosophes, qui est doué de tout ce qu'on
peut désirer pour parvenir à la perfection souhaitée, ce sont là les oiseaux de
Zadith ben Hamuel qui visent de leurs arcs et flèches vers le soleil et la lune
qui leur sont opposés, d'autant que ces gouttes congelées étant composées non
seulement de l'humide mais aussi du sec, se voient retomber par leur pesanteur
dans le fond du vaisseau y portent une matière épaisse et comme bitumineuse qui
remplit le vaisseau peu à peu d'une matière semblable à un limon noirâtre, la
dissolution ne se faisant pas par sauts mais par degrés ; ce limon qui est le
principe de la coagulation s'augmente peu à peu aussi bien que la vapeur qui
engendre les gouttes, et les gouttes qui engendrent le limon, de sorte que vous
verrez successivement nager sur le bord de votre matière de petites bluettes
noires dont le nombre s'augmentera avec celui des jours de votre digestion ; au
commencement vous ne verrez ce que je viens de dire que sur le bord du vaisseau
là où la matière y confine, mais peu à peu cette noirceur s'étendra sur toute
la superficie de votre matière et peu à peu vous verrez descendre cette noirceur dans le
fond de votre vaisseau, car elle empiétera tellement votre matière que le
soleil vous deviendra invisible et que vous ne verrez plus le fond du vaisseau,
alors vous pouvez être certain que la matière tend vers la nouvelle créature,
et qu'elle se prépare à une régénération merveilleuse.
Il y a deux pierres principales de cet art. La blanche et la rouge, d'une
nature merveilleuse ; la blanche commence à paroistre au coucher du soleil la
face des eaux, se cachant jusques à la minuit et après elle tend vers le
profond, mais la rouge opère à Popposite, parce qu'elle commence à monter sur
les eaux au lever du soleil jusqu'à midi et puis descend au profond.
TROISIÈME
TRAITTÉ
DE
JACQUES TESSON
PRESQUE
SEMBLABLE AU PREMIER
Amy, je n'ay point connu homme en ce monde qui ait mieux connu mes
propriétés occultes et manifestes. Je ne puis périr sous ta conduite, dis donc
à qui il faut appliquer mes vertus et à quelles personnes, tant pour maladies
que pour la commodité de cette vie.
J'ay déclaré tout le cours de l'œuvre depuis le commencement jusques à la
fin, maintenant je veux parler de sa complexion et qualité. En la première
création tu estois simple et n'avois aucune vertu et puissance que pour toy, et
(elle) ne s'étendoit pas plus loin que ta personne, la cause de ceci étoit que
tu n'étois pas glorifié et n'avois d'aquis que ce qui te faisoit besoin, aussi
que ta nature n'avoit que simple matière, et étant ainsy en cette première
qualité, tu étois en danger d'y être à jamais confiné. Or je t'ay trouvé, et
n'ai pas laissé d'estre désireux de t'avoir, quelque cruauté que tu disois
avoir en toi, d'autant que je connaissais le grand trésor caché en ton occulte,
et pour ce je n'ay crainte de ta cruauté car j'ay le moyen de t'en dompter et
comme tu t'es déclaré à moy j'ay entendu ta volonté dont je me suis réjoui de
t'avoir rencontré, car je te ferai voir la gloire des cieux qui est ton désir,
et lors ta grande vertu cachée qui ne se montroit point, sera vue et connue, et
lors on te recevra, car auparavant on ne tenoit compte de toy, quand tu me
commandas que je te tuasse, ce que j'ay fait l'un et l'autre par le moyen qui
s'ensuit.
Quand je voulus commencer je te pris tel que nature t'avoit formé et te fis mourir
langoureusement, car la mort violente est damnable, et n'en connois point
d'autre que celle-là car c'est la mort heureuse, et la résurrection glorieuse,
et si tu étois mort d'autre mort, tu ne pourrois glorifier tes vassaux,
l'exemple de ce est que l'homme en sa première création est conçu et engendré
en péché par la chair corrompue d'Adam qui ne cherche qu'à mener ce corps à
perdition et est si abêti qu'il n'en voudroit jamais bouger, et par ce moyen ne
voudroit jamais voir la gloire des cieux, car la terre ne demande que la terre,
mais quand l'homme meurt en Dieu, son corps est mis en terre, et la terre lui
mange toute cette corruption grossière, et quand viendra le temps que chacun
ressuscitera, alors un chacun reprendra son corps, lequel sera glorifié, et ne
sera plus sujet à la corruption ni à aucune chose, voilà à quoy ressemble ton
mystère.
Je t'ay conduit par même voie ou semblable selon ta nature ; car en la
première création tu n'étois que terre, et qui ne t'en eust osté, tu serois
encore là, jamais tu ne te fusses ressuscité glorieux, et que la terre a mangé
cette grossitude de ce corps humain ; j'ay fait aussi par mon industrie cette
première forme que tu avois acquise en ta première création, je l'ay fais
consommer par le feu et par l'eau, tant qu'elle s'est convertie en autre nature
plus précieuse qu'elle n'étoit au premier d'autant que ta vertu s'étend à
l'infini sans se diminuer d'aucune chose. Et maintenant tu tiens le siège le
plus éminent de tous ceux qui sont de ta nature, et te reconnaîtront pour leur
Seigneur et n'y aura que le souverain qui te puisse vaincre.
Voilà comme je t'ay conduit tout le chemin de ton voyage, et si j'ay failli
en quelque point, déclare-le moy afin que je m'amende, car si j'ay fait faute
elle m'est inconnue.
Mon amy, la providence divine t'a assisté, car l'homme mortel par soy-même
ne scauroit par où commencer, tant elle est inconnue et difficile s'il n'est
inspiré du Saint-Esprit, il n'y entendra jamais rien.
Or le moyen pour m'appliquer et à quelle sorte de personnes? C'est aux
pauvres de Jésus-Christ, femmes veuves et orphelins, filles à marier,
prisonniers des Turcs, pauvres honteux, et à ceux qui en gens de bien ont
employé leurs biens à la recherche d'icelle.
Tous fidèles, priez Dieu qu'il vous inspire l'intelligence de ce divin
mystère, car sans sa faveur vous n'y pourrez rien faire. Je n'ay point voulu
employer grand papier pour ne point confondre l'entendement, mais une seule
voie facile, aisée, et n'y est requis grand travail des mains, seulement entendre
ce qui est convenable à la matière et ce qui luy est contraire, voilà les deux
points principaux.
Et me laissez toutes ces matières et drogues étrangères, car celle dont je
me suis servi, je l'ay eue dedans mon globe, à savoir au profond de ma matière
et n'ay rien mis en avant qui ne soit nécessaire à l'artiste; que s'il ne fait
cela, il faillira dès le premier jour qu'il commencera, car je n'ay rien parlé
que de ma matière et de sa nature et de ses nuances qui se font en la cuisant,
et des opérations occultes de nature et du temps, pour quoy il ne faut point
feuilleter tant de livres qui ne font que troubler et reculer plutôt que
d'avancer ; par quoy je vous prie de ne vous y point amuser si vous avez envie
de parvenir, car elle ne se fait point avec multitude de matières, mais
seulement se fait avec deux lesquelles sont sorties d'une même source ; il est
vray que l'une est cuite et l'autre crue, et les faut prendre pures et nettes
ainsi qu'elles sortent de leurs minières et le tout est de la savoir bien accompagner
par un bon mariage et saint, à savoir avec les bonnes odeurs comme dit Arnauld
de Villeneuve, c'est tout l'art, et se multiplie de soi-même en son œuvre, et
ne demande point d'aide étrangère car elle a en soy tout ce qui lui faut pour
son organisation sans rien emprunter d'autruy, témoin la génération du corps
humain, car il suffit de la semence de l'homme et de la femme, semblablement
des bêtes à quatre pieds pour se multiplier, n'y faut autre chose que les
spermes du mâle et de la femelle, des volatiles de même ; que l'on se conforme
à cela car c'est tout l'art, j'en laisse le jugement à tout homme sage et tout
vray philosophe.
On aura reconnu les paragraphes 77 et suivants du premier traité, avec
d'infimes variantes ; les paragraphes 85, 86 et 87 étant strictement répétés
ici, nous y renvoyons le lecteur.
Pour bien entendre en la mortification du corps et dissolution, tout se fait
occultement, et ne se voient que ténèbres et obscurité, qui est le vrai signe
de la mort, et l'esprit ne se corrompt pas lorsque le corps se corrompt et
c'est à cause de sa crudité et frigidité, et puis le corps corrompu il corrompt
l'esprit et à cette corruption de l'esprit apparaissent toutes les couleurs du
monde, ainsi que la décoction continue ; et au commencement quand l'esprit se
corrompt les couleurs apparaissent l'une après l'autre, mais à la fin toutes se
viennent rendre au-dessus de la superficie du globe de la matière, et cela est
près de la fin ; icelles exhalées n'apparaîtra plus que le blanc parfait, duquel
on se pourra aider, et après icelui viendra le citrin mais il est inutile car
ce n'est autre chose que la couleur qui se présente entre le blanc et le rouge,
mais une couleur fantastique et inusitée (cf.) et ainsi pour les voir quand
elles se présentent chacune en son temps, sois expert à agencer ton vaisseau au
magistère quand le temps se présentera sans le toucher ni le remuer, car la
matière ne veut point être remuée ni maniée ni brouillée. Il faut qu'un
Philosophe soit expert pour entendre ces menus passages ; s'il ne les entend
comment pourra-t-il parler sinon par imagination volage ! Toutefois je ne
laisserai pas de mettre ici la façon et la manière comment je l'ai bâti quand
j'ai commencé ce grand magistère.
Ç'a a été dans un cabinet de 8
pieds en carré et bien clair et bien calfeutré de
châssis pour y voir clair et au beau milieu je fis ma tour dont je dirai
ci-après.
Un jour je voulais commencer cet œuvre mais je n'étais pas trop bien assuré
de la matière et étant en admiration tout pensif m'apparut en vision une
fontaine d'une eau en couleur céleste étincelante et resplendissante comme
neige gelée, et la vis si nette et claire que je ne me pouvais saouler de la
regarder admirant les faits de Dieu.
Il se présenta un homme d'âge ayant la face comme le soleil, lui ressemblant
de forme et de nature et de couleur et était fort tempéré en sa matière, et me
demanda pourquoi je regardais cette fontaine ainsi fermement? Je lui dis que
c'était pour la grande beauté qui était en elle et croyais qu'il se pouvait
qu'en icelle il y eût quelque excellente vertu qui était la cause que je
prenais si grand plaisir à la regarder, et je voulais trouver quelqu'homme qui
me donnât adresse pour m'acheminer à la droite voie de cet œuvre, mais à ce que
je pouvais entendre il était presque inconnu aux hommes. Il est vrai que je
sais la conduite et les ustenciles, mais je suis en doute de la matière et de
son nom.
Ami, puisque je connais que tu as l'esprit généreux et subtil, que tu n'es
pas venu à la connaissance du régime que tu n'aies eu beaucoup de travail, je
te les déclarerai.
Sache donc que tu as trouvé ce que tu cherches et es bien heureux de m'avoir
trouvé ; rends-en grâce à Dieu parce que c'est l'accomplissement de ton désir:
car il n'y a créature en la terre de qui tu te puisses aider que de moi ou d'un
mien semblable, et pour ce, note que je suis celui que tu demandes mais je te
veux dire ma nature, ma complexion et mon origine.
Pour le premier je ne suis qu'un rayon du soleil qui luit nuit et jour au
fond de ma nature et je suis d'Ophir et ne fus jamais marié et pour avoir
génération de moi il faut que tu me maries ; par ce moyen tu tireras de grands
trésors de moi.
— Quelle compagnie te donnerai-je qui soit digne de toi?
— Ami, la fontaine que tu regardais est celle qui m'a engendré, et suis tel
que j'étais quand je sortis de son ventre, à savoir sans macule. Sache que pour
faire ce que tu dis il faut que ta matière soit pure et nette, car ordure
n'engendre qu'ordure, et pour me donner compagnie à mon désir il faut que tu
prennes ladite fontaine quoiqu'elle m'ait engendré et qu'elle soit ma mère,
toutefois il ne s'en trouvera point d'autre en toute la terre qui soit digne de
moi ni qui ait la vertu pour engendrer un tel seigneur que nous ferons elle et
moi, et pour ce, garde-toi de chercher et prendre autre chose qu'elle et moi,
et n'y a point d'autre moyen combien qu'elle soit ma mère car Dieu l'a voulu et
établi ainsi qu'il faut que la conjonction se fasse d'elle et de moi et n'y a
point d'autre moyen pour avoir génération de notre race.
— Es-tu de la race de ceux d'Ophir qui furent présentés au roi Salomon?
— Il me répondit qu'oui et qu'elle était la plus noble et la plus ancienne
de toute la terre, et la fontaine nous a tous engendrés et distillés ; tu ne
peux faillir à faire ce mariage puisque tu as le moyen entier de nous
entretenir le temps de notre mariage, car si tu faillais ou manquais à nous
entretenir et fournir notre nourriture nécessaire, nous mourrions damnés sans
jamais pouvoir ressusciter.
— Je ne t'abandonnerai pas et me tiendrai près de toi pour te maintenir et
fournir de quoi tu as à faire, car si j'avais manqué de la plus petite chose
pour ta nourriture durant ton voyage tu serais perdu et ne pourrais
ressusciter, et pour ce que je connais que tu es de si petite dépense, ne doute
point de ma bienveillance car je ne ferai rien à regret. Sois donc diligent et
vigilant et assuré afin que cette grande vertu qui est en toi cachée ne se
perde.
Assure-toi que cette science est de telle nature que qui sait le commencement
-sait la fin et ne pourra-t-on faillir qu'en trois points, savoir paresse,
hâtiveté et curiosité. Hâtiveté c'est de vouloir voir trop souvent le vaisseau,
ce qu'il ne faut faire.
Ces avertissements me sont autant d'oracles pour m'en servir nuit et jour.
Hic desunt plura
Je bâtis une tour au milieu d'une chambre claire vis-à-vis de la fenêtre et
y fis trois portes, deux au droit l'une de l'autre pour quand elles seraient
ouvertes y voir ma matière et comment elle se porte, et la troisième pour
mettre ma main dans ma tour s'il est besoin, et j'appropriai un autre vaisseau
dans ladite tour dans lequel vaisseau je mets celui ou est ma matière, et je
couvre tout bien justement comme il faut.
J'allume mon feu tel que je dois et le continue jour et nuit sans aucun
intervalle jusques à la résurrection de mon corps, et puis je fais l'autre qui
digère, et un qui congèle, et pour le dernier un qui fixe, qui aura bon sens
m'entendra.
J’allume mon feu pour chauffer ladite tour et continue icelle chaleur l'espace
de neuf mois et demi, ou ayant fait le tout jusques ici bien et dûment je
prends mon vieillard et rayon et le tourmente tant pour faire sortir de lui ce
qui pourrait être de mauvais que je l'aie pur et net, et le dispose et lui
anime cette vertu générative, et le mets en tel point qu'il ne désire que sa
compagne en mariage, et après je m'en vas à la fontaine et tire hors d'icelle
dix vierges, les plus belles et nettes qu'il m'est possible de tirer et les
présente à l'époux afin qu'il choisît laquelle il voudrait, mais aussitôt que
les vierges le voient elles se jettent sur lui si furieusement qu'en un instant
elles le dévorent et le consomment, et toute cette belle forme qu'il avait si
reluisante, et le perdis de vue, et voyant cela je ne savais autre remède que
de les prendre tous ensemble, et les approprier dans la troisième chambre
susdite bien mollement, et après les échauffer de la chaleur susdite qui ne les
fasse que suer et je leur continue cette chaleur jusqu'à ce que je voie quelque
apparence de vie en lui, et quelquefois je m'approchais de la chambre, et
entendais entre eux de grands débats, et ne se voulaient accorder, mais je
savais d'où cela procédait et me mis en devoir de les vouloir mettre d'accord,
car il n'y a que moi qui le puisse faire par art et industrie et y maintenir la
chaleur nécessaire à les y mettre car il n'y a autre remède que cette chaleur
c'est elle qui les fait vivre et aussi qui les fait mourir, et la source de ce
débat est que les unes veulent dominer à cause qu'elles abondent en quantité
d'humidité et de froideur, et le feu semblablement veut avoir la victoire
encore qu'il n'abonde pas en quantité, toutefois il outrepasse en vertu
lesdites vierges, et les vaincra, car c'est lui qui baille vie et mouvement à
toutes choses qu'elles qu'elles soient après notre grand Dieu qui l'a ainsi
créée et davantage il est invisible, encor qu'elles l'ont englouti et qu'elles
le tiennent enveloppé dans leur ventre, pourtant il ne laisse pas de travailler
occultement, car elles ne détruisent que la forme. C'est pourquoi les
philosophes l'ont appelé Dragon mais elle ne détruit pas la vertu, et d'autant
qu'elles le tiennent au profond de. leur ventre on l'a appelé lit, les autres
l'ont appelé et nommé cercueil, pour ce qu'il est inhumé au profond, ils l'ont
appelé rosée parce qu'il est facile à s'envoler, et esprit fugitif parce qu'il
s'en va diligemment et que l'on ne le voit et aperçoit au point de s'exhaler,
et tant d'autres noms qui seraient trop longs à raconter desquels les sages se
sont servis, d'autant qu'en elles sont toutes ces qualités, et pour parvenir à
notre propos cette vertu pénétrative ne peut être vaincue, mais la dépouillant
de son premier corps soudain elle s'en reforme un autre que nul de tous ses
contraires ne connaissent rien, toutefois elles pensent bien tenir pour vaines
; mais il travaille en elles si subtilement que nulle d'elles n'en font aucune
chose, tant qu'il a vaincu la moitié de leurs forces, alors elles confessent
qu'il est invincible, et se rendent obéissantes à lui en tout et partout.
Ici est l'opération de la matière où les philosophes ont dit que le masculin
est la forme et l'agent, et le féminin la matière et le patient, et ainsi
durant tous les ébats je continue sa chaleur comme je dois tant qu'il ait conçu
et engendré un fils qui n'a son pareil au monde tant en vertu médicinale pour
le corps humain que richesses pour cette vie caduque et transitoire, et par la
vertu de mon régime que je continue, ils s'accordent ; aussi est-ce le vrai
moyen de les accommoder et il n'y en a point d'autre.
Or je retourne m'approcher de la chambre mais je n'y ouïs aucun bruit et ne
vis autre chose qu'une bonne paix; il est vrai qu'ils avaient changé de couleur
et étaient devenus fort noirs, et semblait une mer ondoyante et les ténèbres
avaient domination par-dessus le globe, et étant en admiration, considérant
d'où provenait telle chose si monstrueuse, je vins à mon oracle et lui demandai
d'où procédait cette obscurité.
Mon ami, souviens-toi du mystère de notre Rédemption quand Notre Seigneur
Jésus-Christ prit mort et passion pour nous à celle fin de nous réconcilier à
Dieu son père lorsqu'il fut élevé sur la croix et qu'il rendit l'esprit,
ténèbres furent faites sur la face de la terre, le soleil perdit sa lumière et
la terre trembla et les pierres se fendirent et saint Denis l'Aréopagite dit
qu'il fallait que le Dieu de nature souffrît ou que le monde eût pris fin, que
sans icelle mort nous étions enfants d'Ire et en la puissance du diable.
Ami, ton mystère est semblable selon ce qu'il contient en sa nature et
qualité d'autant que par sa mort il ressuscite et revivifie tous ceux qui sont
de sa nature ; or pour acquérir cette puissance, il faut que la mort de ton
masculin s'ensuive, et tu connaîtras sa mort quand tu verras le ciel de ton
globe noir et ténébreux, sourd et laid à voir, mais après cette mort il
ressuscite, et après cette résurrection il porte quant à lui cette vertu et
puissance de pouvoir ressusciter les morts qui sont de sa nature et guérir les
maladies. Réjouis-toi donc quand ta matière deviendra noire, car c'est signe
que la forme grossière acquise par l'art de nature est tout à fait éteinte.
Maintenant le germe qui est caché là-dedans se manifestera et montrera le corps
neuf qu'il s'est acquis pendant le temps qu'il ne se montrait point et qu'il
travaillait occultement. Saturne lui a été bon conducteur car en toutes espèces
l'influence saturnienne est de dissoudre, pourrir, putréfier, subtilier et puis
faire germer et végéter ; voilà sa charge et son office, et ne passe plus outre
et les Philosophes ont appelé ce passage la putréfaction de l'œuvre et la terre
féculente du, caput corvi où les dits corbeaux qui volent en l'air font leurs
nids dans une terre de chêne. Voilà tout ce qu'ils
ont dit de réduction en sa première matière et tout ceci se fait en quatre
mois et demi qui est la moitié du temps de l'œuvre.
O que l'homme qui est parvenu à ce point est heureux, car la plupart de ceux
qui entreprennent de faire une telle œuvre faillent à ce passage et demeurent
vaincus, ne sachant que faire ; aussi est-ce le plus difficile point qui soit
en tout l'œuvre, comme dit la Tourbe, après la putréfaction vient la
génération, d'ici là il s'en va formant et croissant et d'un même feu.
Or tout ce temps-là passé se sont présentées toutes les hiérarchies célestes
quand elles ont entendu qu'un de leurs confédérés était mort en ses parties
terrestres, et s'adressant à moi, me dirent: en ces parties basses et
terrestres est mort un de nos compagnons, le plus digne d'entre nous. S'il en
est ainsi dites-le-nous et nous ferons ce que nous pourrons pour le
ressusciter, car nature nous a donné cette vertu et propriété, dites-nous donc
la vérité du fait.
Mes chers. Seigneurs, il y a quatre mois et demi et plus qu'il se présenta
devant mes yeux en vision une fontaine de couleur céleste qui me resplendissait
au plus profond de mes parties intrinsèques, et ne reconnaissais en moi aucune
obscurité, et étant ainsi ravi il m'apparut un homme de nature céleste, beau et
resplendissant comme le soleil et sa couleur et sa nature lui étaient
semblables, et me dit que je fisse une conjonction de lui et de la fontaine, ce
que j'ai fait sans faillir et le tout par son ordre, et les ai conduit et
gouverné jusques ici en attendant votre venue, afin que fassiez ce qui est en
votre pouvoir pour le ressusciter: car je savais bien que sans votre aide il
serait demeuré mort sans nul profit, et ainsi j'ai fait ce que j'ai pu faire à
vous faire venir, et celle-là qui devait s'employer la première dit:
Mon ami, tu as tenu le droit chemin, il faut que tu le continues le temps
que nous opérons, nous allons toutes chacune de nous en nos lieux et places
afin de faire notre devoir, et ne faut point que tu nous abandonnes mais aie
soin de nous comme tu as eu du commencement jusqu'à présent parce que ce que tu
as fait n'a servi qu'à dissoudre, dérompre et mortifier le corps, maintenant
qu'il le faut ressusciter, aie autant de soin que tu as eu au commencement,
d'autant qu'il n'y a eu que le corps de corrompu, lequel il faut revivifier et
par un même moyen corrompre et putréfier l'esprit, et à ce faire avoir autant
de soin et de sollicitude et industrie qu'à l'autre, et pour ce faire, ne va ni
à droite ni à gauche, tiens ton chemin, car quand le corps se corrompt et
putréfie, l'esprit ne se corrompt point, mais quand le corps est corrompu,
l'esprit vient à se corrompre et putréfier et alors nous comparaîtrons toutes
sur la superficie du globe, qui sera le signe que toutes les influences ont
fait et achevé leurs charges les unes après les autres, et n'y a qu'une voie du
commencement jusques à la fin. Toutes ces choses sont sorties du profond du
globe et sont retombées, le tout par la bonne industrie de l'artiste. Car
toutes ces choses mises en avant ne sont que les opérations de nature,
lesquelles se montrent ainsi qu'elles opèrent et c'est ce que nous appelons
nuances pour ce que chacune opère en son temps l'une après l'autre, et un seul
fait tout cela, car c'est l'intention de l'artiste de les faire sortir -et
après reboire, et de servir nature en toute mansuétude et douceur, car qui la
viole n'est tenu pour sage aussi elle ne veut pas être violée ; ce n'est point
l'artiste qui fait engendrer et croître, afin qu'on ne se trompe pas, c'est
nature, car l'ouvrier ne fait qu'administrer la matière déjà créée par elle, et
lors elle besogne selon la nature.
Retournons maintenant et parlons des qualités et opérations distinctement.
La première influence de laquelle nature se sert ne fait autre chose que
baigner et tremper notre terre, à cause qu'elle est si dure et si fixe qu'il
est impossible à l'homme de la mollifier par autre moyen que par celui-ci, et
ce détrempement qui est la première nuance dure 40 jours. Les modernes l'ont
appelé dissolution et les anciens réduction en sa première matière, mais venu à
ce point l'homogénéation est faite, c'est alors que le soufre commence à
naître, mais il n'apparaît point jusques à tant que le sec ait dominé
l'humidité, nous appelons ce passage coaguler qui est une autre nuance, et
l'autre nuance qui vient après ceci est la vraie congélation, où l'épais domine
le liquide ; il est vrai qu'il y a quelqu'apparence d'humidité, mais le sec
domine. C'est une autre nuance qui sont trois.
Or venons à la dessication qui est une autre nuance qui est ainsi que la
matière se décuit, l'humidité se consomme peu à peu, se dessèche et étant sèche
l'humidité est évanouie ; toutefois ce n'est que la dessication vulgaire, la
raison est que l'or et l'argent vulgaires ne se tiendraient point en corps s'il
n'y avait quelque humidité, ce ne serait que poudre, mais la nôtre passe plus
outre, et outrepasse icelle et nature, parce que nature n'a prétendu faire que
simple forme qui n'est bonne que pour soi, et la nôtre acquiert pour soi
et pour d'autres tous ceux de sa nature et davantage sa puissance s'étend
jusques aux corps humains. C'est la raison pour laquelle notre dessication
passe un degré plus outre, c'est pour acquérir cette vertu, et ne se montre que
poudre d'autant que l'altération et sécheresse est si grande qu'elle ressemble
à un pur feu, c’est pourquoi les Philosophes l'ont appelée cinération, qui est
une autre nuance.
Quand la fixation et rubification sont ensemble, la fixation acquiert une
force par la décoction et bon régime de l'artiste, qu'elle est invincible à
soutenir tous assauts qu'on lui pouvait bailler et commence à acquérir cette
force dès le premier jour du régime, qui est dès aussitôt qu'on commence à
échauffer le bain et ainsi que la matière se va cuisant elle se va fixant, et
la rubification la va suivant de près, et notez que l'un ne va sans l'autre et
tout par un même chemin. Il nous faut après distinguer les nuances que nature
opère occultement. Sachez que le premier jour que nature a commencé à
travailler jusques au dernier jour des quatre mois et demi est faite la
dissolution, putréfaction, homogénéation ; et quant à la rubification elle se
fait certainement pendant le temps des autres 4 mois et demi, mais en icelui
temps apparaîtront changements divers ainsi que la matière se va cuisant elle
changera d'une nature en une autre que nous dirons nuances et l'une dure plus
que l'autre, la première 40 jours, la seconde 20 jours, la troisième 40 jours
ou environ, la sixième dure 15 jours, quelquefois, plus, quelquefois moins
selon l'industrie de l'artiste d'autant que si on lui donne le feu par trop
faible, il ne la nuancera pas, et si on le lui donne quelque peu trop on le
gâtera, et pour cette cause il faut être assuré du feu ; je vais vous dire et
déclarer quel il doit être.
Le feu de solution doit être comme le feu de la géline quand elle couve ses
œufs, car le feu ne peut rien détruire, et le feu qui ressuscite, il faut que
ce soit un bon feu qui digère la matière épaisse et la fasse monter au ciel,
car si la terre demeure toujours au fond du vaisseau, la dissolution n'est pas
parfaite, car il faut rendre ce corps matériel esprit en pure eau mercurielle
qui est sa première nature, et si vous faites autrement, toute votre dépense,
temps et travail sont perdus, et me croyez, car je ne dis chose que je n'aie
éprouvée, et ne vous dis rien en doute, et si vous m'entendez vous êtes
bienheureux, hors de pauvreté et misère de ce monde, vivez en repos de
conscience, servant Dieu.
Je traiterai un petit de la multiplication pour le corps humain, et après de
celle pour les métaux, afin que l'on sache le tout, car ce qui est pour les
métaux ne vaut rien pour le corps humain et celle qui est pour le corps humain
se peut convertir pour les métaux, et pour ce il y a deux multiplications:
Pour le corps humain
Comme la matière première est venue à sa fin de perfection, c'est le vrai
élixir, et pour le multiplier à la vertu égale qu'elle est, il faut prendre de
l'eau de laquelle elle a été faite, et ainsi la composer, à savoir un poids
d'élixir sur dix de ladite eau, et la mettez dans un vaisseau semblable au
premier, et mettre le tout en décoction comme vous avez fait au premier œuvre
et même régime de dix jours et au bout desdits dix jours réitérez de mettre par
quatre fois, et se multiplie à l'infini par même chemin, la première sur dix,
la seconde sur cent, la troisième sur mille, la quatrième sur dix mille, et
comme vous suivrez vous irez à l'infini suivant toujours la même voie.
Pour les métaux
Et d'elle se fait médecine sur les métaux et oui ne se gouverne pas de même,
car il lui faut abaisser cette force parce qu’étant ainsi elle les
précipiterait et ne ferait rien qui vaille, et pour l'abaisser faites ainsi.
Je prends un poids de mon Elixir et 20 poids de l'œuvre susdit et les
incorpore avec l'autre, et les mets cuire de même façon et régime que la
première fois jusqu’à ce qu'elle soit toute convertie en poudre, et après vous
prendrez le tout, et le retournez composer avec 80 poids de ladite eau, et puis
le remettrez encore derechef au même feu, et lors que tout sera cuit
vous prendrez le tout, et derechef vous l'incorporerez avec 160 poids de ladite
eau, et la cuirez en même feu et lorsqu'elle sera cuite et venue à sa fin, si
c'est au blanc, vous prendrez un marc de lune fine fondue et bien chaude et
vous jetterez dedans deux onces de la médecine, et les mêlant avec un petit
bâton tant que la lune ait tout bu, et cela fait, jetez en lingot et cette
médecine est pour jeter sur les métaux imparfaits comme vénus ou autres.
Et pour congeler mercure, prenez de votre médecine une once que jetterez sur
10 de mercure bien chaud tant qu'il fume, le tenant un quart d'heure sur le feu
puis versez votre mercure converti'en lune fine.
Et pour le rouge, il faut faire de même que vous avez fait à la lune excepté
à la fin, car il faut prendre or fin, et le fondez, et étant fondu et bien
chaud, jetez la médecine dedans, c'est pour en faire projection.
Pour savoir si la médecine est bonne: prenez un grain pesant de la médecine
puis la mettez sur une lamine de cuivre bien rougie, et s'il transperce la
lamine dedans et dehors elle sera bien faite.
FIN
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